Satoshi Tomiie, 30 ans de house

Le Japan Connection Festival était l’occasion de (re)découvrir quelques uns des acteurs les plus importants des différentes scènes électroniques japonaises d’hier et d’aujourd’hui. Parmi les invités, on comptait Satoshi TOMIIE, ponte de la house music dans le monde. Japonais vivant à New York, il est à Paris comme chez lui, puisque la capitale française lui sert de hub lorsqu’il soit se produire en Europe. Nous nous sommes assis avec lui le temps de quelques questions, au lendemain de son set électrisant et analogique à la Gaîté Lyrique.

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Journal du Japon : Pouvez-vous vous présenter ?

Satoshi TOMIIE : Je m’appelle Satoshi TOMIIE, mais bon, ça, vous le saviez déjà. Je suis DJ/musicien/faiseur de musique… ce genre de choses. En des termes plus contemporain, on dira que je suis producteur. Je fais tout ça professionnellement depuis la fin des années 80. Mais tout ça, on peut le trouver en ligne, hein…

Oui, donc vous êtes dans le milieu depuis 30 ans maintenant. Comment est-ce que la scène a évolué, d’après vous ?

Oui, alors on va mettre 2 jours pour répondre à cette question ! De nouveaux acteurs arrivent de partout dans le monde. Le public se rajeunit. Mon style de vie a changé avec l’âge… Certaines teufs continuent d’être pleine et de brasser un public varié allant des adolescents aux sexagénaires : c’est ce que je recherche, ce partage de la musique pour tous. C’est un peu plus rare aujourd’hui, mais ça existe toujours. Les fondamentaux, comme les gens qui s’amusent et passent un bon moment à écouter de la musique électronique live, ils sont toujours présents. La technologie a changé la façon dont on apprécie la musique par contre…

Ah, puisque vous abordez la question de la technologie, j’aimerais revenir sur votre set d’hier. Vous n’aviez pas d’ordinateur sur scène, seulement des appareils analogiques. Pourquoi ?

Quand j’ai commencé à tourner, les ordinateurs n’étaient pas suffisamment puissants. Il était donc nécessaire que je me serve de machines pour faire du son. C’était des branchements de séquenceurs, d’oscilloscopes et de plein de trucs pour pouvoir faire la musique que je voulais. Mais depuis 10-15 ans, les ordinateurs sont devenus assez rapides pour faire tout ça : on a à présent un studio dans une boîte.

J’aime beaucoup les nouvelles technologies et les nouvelles choses pour créer de la nouvelle musique. J’ai donc opté pour cette solution dans les années 2000. C’était aussi très pratique d’un point de vue transport : avec un ordinateur portable, on gagne beaucoup d’espace. Mais finalement, j’avais tort !

Créer de la musique simplement sur ordinateur, ça ne simplifie pas du tout la tâche. On peut faire littéralement tout ce que l’on veut. Et ça, c’est une limite. Des choix infinis, c’est pire que d’avoir des contraintes – comme je les ai avec la création analogique. Si tu sais exactement ce que tu veux, un ordinateur, c’est génial. Mais si ça n’est pas le cas, tu vas te perdre. Par ailleurs, avec un ordinateur, tu vas pointer/cliquer à un seul endroit à la fois. C’est un peu comme si tu jouais du piano avec seulement un doigt.

J’ai donc redécouvert la créativité en revenant aux machines, et j’y suis revenu. Je passe plus de temps à réellement créer et composer de la musique, plus que de chercher des sons, comme j’aurais pu le faire sur ordinateur. C’est pour ça que j’ai fait ce choix pour mon set.

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Votre analogie avec le piano, jouer à un doigt est intéressante puisque vous avez étudié le jazz, notamment le piano jazz. Comment s’est faite la transition vers la house ?

J’avais des idoles quand j’ai commencé : Herbie HANCOCK, Art TATUM… Avec ces icônes, c’est un peu comme si je me comparais avec des athlètes olympiques alors que je suis un coureur du dimanche : ils ont ce talent inné entretenu par la pratique et l’entraînement. Je demandais à mon professeur de piano, lui aussi pianiste jazz professionnel : « Comment jouer comme Art Tatum ? » et il me répondait : « Mais t’es cinglé ?« 

La période durant laquelle je me suis vraiment plongé dans le jazz, c’était l’adolescence. J’écoutais davantage de choses des années 50-60, du modern jazz. Puis j’ai écouté les évolutions du modern jazz. Miles DAVIS qui intègre des instruments électriques à ses compositions et ouvre la voie vers du jazz électronique… Ces choses ont éveillé quelque chose en moi : la musique devenait plus divertissante en étant plus avant-gardiste. Cette évolution constante m’a interpellé. Et on était également à l’époque où le hip-hop arrivait au Japon. J’ai donc découvert les boîtes à rythmes au même moment, je les ai tout de suite trouvées cools.

Il y a donc deux facteurs principaux à ma conversion aux musiques électroniques. D’une part, je me suis dit que le monde n’avait pas besoin de moi en tant que pianiste jazz. D’autre part, je voulais faire partie d’un mouvement musical qui arrive à évoluer. J’ai commencé par la house, en créant des morceaux, tout simplement. Et en faisant le DJ.

C’est la première fois que vous jouiez ce set à Paris ?

Pour la première édition du festival, on m’a demandé de faire un set live. Au départ, je m’attendais peut-être à un DJ set, vu que j’en fais depuis de nombreuses années maintenant. Mais on est parti sur autre chose. Je fais du live depuis mes débuts, puisqu’à l’époque, j’accompagnais Ryuichi SAKAMOTO. Mais fondamentalement, je suis rarement sur scène en tant que performeur.

Hier, j’ai présenté mon nouveau set. Je l’ai déjà joué avant, mais dans d’autres formats. Je participe à plusieurs projets actuellement, et dans l’un d’entre eux, je suis accompagné de deux musiciens. J’ai donc déjà joué ce set avec eux. Mais à Paris, c’était la première fois que je le jouais en solo. C’est encore une expérience, mais c’était une bonne opportunité de la tester dans des conditions live hier ! Merci au Japan Connection Festival pour ça !

Il n’y a aucun préset, rien n’est pré-compilé. Tout était improvisé et composé en direct. Je ne savais pas vraiment ce qui allait se passer ! Finalement, c’est un peu comme le jazz : tu répètes en sessions, mais ce qui est produit en live varie. C’est comme une jam session de free jazz : tu détermines une clé, un rythme de base, mais au final, tu improvises là-dessus. J’ai passé plusieurs mois pour créer ce set. Ça a été des recherches intensives, tout de même ! Créer le set-up a été une chose essentielle, mais ça a été compliqué. Il faut s’assurer que tout fonctionne ensemble. J’ai beaucoup appris. En studio, tu peux prendre du temps pour monter, assembler, réparer des bouts de son. Sur un show en live, tu ne peux pas te permettre de prendre ce temps. Donc toutes les machines doivent être prêtes en amont.

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Comme vous parlez d’improvisation, parlons de la scénographie d’hier. Vous étiez accompagné par les performances artistiques d’Akiko NAKAYAMA, qui s’inspire de la musique qu’elle entend pour faire évoluer ses créations. Est-ce que la réciproque était vraie : vous êtes vous inspiré de sa performance pour faire votre musique ?

Comme c’était un set en one-shot, je n’ai pas eu le luxe de faire ce genre de choses. J’adorerais le faire ! Si j’ai la possibilité de jouer avec mes deux musiciens la prochaine fois, je pense que c’est le genre de chose qui se prêterait parfaitement à cet exercice.

Je ne connaissais pas son art auparavant, et j’ai été bluffé. Le premier soir du festival, je me suis pris un effet WHOA dans la face en voyant ses performances accompagner la musique. La combinaison des deux, musique et art visuel, fonctionnaient parfaitement dans cette situation. Des fois, les visuels sont trop présents et deviennent un show à part entière, à côté de la musique.

Dans l’ensemble, le festival est très chouette. C’est presque un festival de DJing, mais il y a des groupes, des performances musicales plus organiques… Cette combinaison est très intéressante. La présence d’Akiko NAKAYAMA ajoute une vibe, un fil rouge, qui unit davantage l’ensemble des performances.

Ce festival est dédié aux musiques électroniques japonaises. Est-ce qu’il y a un son japonais spécifique, à votre avis ?

Je ne pense pas qu’il y ait de son spécifique. C’est plutôt culturel…

(Fumio ITABASHI et Joe CLAUSSELL arrivent ; Satoshi TOMIIE leur parle un peu)

…oui, donc c’est plutôt culturel… Joe le sait bien ! Il en sait plus que moi, d’ailleurs ! Ton avis sur la musique électronique japonaise, c’est quoi ?

Joe ClaussellÇa n’est pas mon interview ! Ne m’entraîne pas là-dedans !

Oui, donc nous accueillons peut-être plus facilement des éléments d’autres cultures chez nous, et ça se traduit aussi musicalement. Le Japon a embrassé les musiques électroniques dans les années 70-80. Et depuis, c’est devenu quelque chose de japonais à part entière. Les musiques électroniques japonaises peuvent sonner un peu différemment pour cette raison, mais je ne pense pas que cette recherche, cette façon de se distinguer, soit faite sciemment.

Ce sont donc des musiques avec une histoire. Mais aujourd’hui, qu’est devenue la house japonaise ?

Peut-être que les DJ japonais ont déménagé à l’étranger… Mais ils sont toujours là, les créateurs de house japonaise. On les met juste moins en avant, parce que ce qui fonctionne aujourd’hui, ça n’est pas la house. Mais KUNIYUKI, par exemple, il continue à faire ses trucs à Sapporo. Il utilise son studio pour faire sa musique incroyable.

La scène DJ de Tokyo actuelle est plus intéressée par l’électro minimale par exemple. La house reste une fondation, avec le groove et différents éléments clés, que l’on retrouve plus ou moins consciemment dans les productions actuelles. La house a évolué, tout simplement ! Tant que la musique rend les gens heureux, c’est bien.

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Reviendrez-vous l’an prochain ?

Si on me demande, bien sûr ! C’était une super expérience. Comme j’étais en position latérale quand je jouais, je pouvais jeter un œil au public tout en me concentrant sur mes machines. J’ai choisi cette scéno pour que le public puisse justement voir ce que je fais. Et je pouvais en même temps observer ses réactions. Les retours sont très positifs. Et si on m’en donne la possibilité, j’aimerais bien faire une session avec Joe, par exemple. Ça serait sympa.

 

Remerciements à Satoshi TOMIIE pour son temps et au Japan Connection Festival pour la mise en place de cette interview.

Crédits photo : Viet Le Hoang

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