Un été avec Kitano

Vous mourez de chaud et n’avez pas la force de sortir affronter la température extérieure bien trop chaude ? Journal du Japon pense à vous et vous propose une excursion à la plage par écran interposé, en compagnie du réalisateur Takeshi KITANO, histoire de profiter de la saison estivale sans quitter la fraîcheur de votre maison. Alors, installez-vous confortablement devant votre écran et plongez dans quatre de ses films que l’été imprègne de sa chaleur, de ses couleurs et de ses sons.

[ATTENTION SPOILER]

Dr.Kitano et Mr. Beat ?

De la même façon que KITANO a deux noms, Takeshi Kitano et Beat Kitano, il a deux visages. Celui qu’il présente à l’occident, de réalisateur adoubé par KUROSAWA lui-même comme celui qui allait « sauver le cinéma japonais » et qui, de fait, jouit d’une impressionnante renommée internationale et d’un palmarès dans les grands festivals. Et celui qu’il présente au Japon, d’amuseur public et de star du petit écran et qu’il exhibait, dans ses beaux jours, dans pas moins de vingt émissions hebdomadaires, allant du divertissement potache type Takeshi’s Castle au talk-show politique ou scientifique. En réalité, deux visages seraient bien en peine de lui suffire et Kitano est, pêle-mêle, un humoriste, un réalisateur, un acteur, un peintre, un plasticien et un auteur. Il est un artiste protéiforme, autant dire insaisissable, qui ne laisse voir que ce qu’il veut bien montrer et qui ne s’applique jamais autant que pour être là où ne l’attend pas. Un artiste, en somme, un peu à l’image des personnages de ses films, toujours à côté, en rupture avec quelque chose : la société, le gang ou l’image que l’on se fait de lui.Kitano

Ainsi, parler de Kitano est un non-sens, car il y a probablement autant de Kitano qu’il y’a d’œuvres de ce dernier, et même résumé à sa carrière de réalisateur, il reste difficile à définir. Faut-il le décrire comme le réalisateur de films de yakuzas violents et radicaux tels que Violent Cop, Sonatine, mélodie mortelle ou la trilogie des Outrage ?  Ou alors comme celui des films sensibles, épurés et dramatiques que sont A Scene at the sea, L’Eté de Kikujiro ou Kids Return ? Et que faire de son chef-d’œuvre, Hana-bi, au croisement des deux genres ? Et de tous ses autres films, sa trilogie autobiographique, le comique Getting Any ou le chambara Zatoichi ? Plutôt que de répondre à ces questions et se lancer dans un impossible portrait, nous avons décidé pour célébrer la sortie, il y a pile vingt-ans, de l’un de ses chefs d’œuvre, L’Eté de Kikujiro, de s’intéresser à la façon dont il met en scène l’été dans quatre de ses films: Sonatine, Hana-bi, l’Eté de Kikujiro et A Scene at the sea dont le titre original est あの夏、いちばん静かな海, soit Ano natsu ichiban shizukana umi en romanji que  l’on pourrait traduire par « Cet été-là, la plus calme des mers ».

 

A la mer comme à la guerre

Si Sonatine et Hana-bi n’ont pas de lien aussi explicite que les deux autres films avec l’été, ne nous y trompons pas car sur une île, ou plutôt sur cet archipel d’îles aussi petit que le Japon, la mer n’est jamais

Murakawa et son gang de Yakuzas, version ville ©Sonatine, 1995

Murakawa et son gang de Yakuzas, version ville ©Sonatine, 1995

bien loin, et avec elle tout un imaginaire de plages et d’étendues bleues ou grises qui se révèlent au regard au détour d’un virage.  A ce titre, rien de surprenant à ce que Sonatine, commence par un poisson embroché et qu’après l’apparition du titre, incrusté dans un travelling sur la baie de Tokyo, la caméra d’Hana-bi suive une voiture roulant en bord de mer. Dans les deux films, les histoires que racontent Kitano sont celles de gangsters, des yakuzas envoyés à Okinawa pour résoudre une guerre de clan dans Sonatine et le policier violent et corrompu d’Hana-bi qui commet un braquage pour offrir à sa femme malade un dernier voyage. Deux histoires à priori sans lien particulier ni avec l’été ni avec la mer, et qui pourtant trouvent leur point d’orgue au même endroit, sur une plage, celle d’Okinawa où les yakuzas de Sonatine se réfugient  et où s’arrête le voyage de Nishi, le policier corrompu de Hana-bi. Loin d’être un point final, la mer est omniprésente dans les deux films quoique de manière très différente.

Dans Sonatine, le lieu de l’intrigue même qui est l’île paradisiaque d’Okinawa au sud du Japon, rend sa présence inévitable. En effet, plus que n’importe quel autre lieu du pays, Okinawa, proche du tropique du cancer est associé à un été éternel, et, de fait, l’arrivée de la bande de yakuza sur place, dirigés par Murakawa (interprété par Kitano) a tout d’un voyage organisé. Regroupés dans un bus, ils se voient offrir boissons et glaces, et si ce n’était pour les visages durs et figés, on pourrait penser qu’ils sont ici en vacances. Il n’en est rien cependant et, raison de leur voyage oblige, Murakawa et sa bande se retrouvent obligés de se retirer dans une maison en bord de mer pour laisser passer l’orage. Dès lors, le film prend un aspect nouveau et tendrait presque du côté du huis-clos et, s’il est toujours une histoire de yakuzas, ces derniers sont désœuvrés et n’ont plus que le temps à tuer.

Murakawa et son gang de Yakuzas, version plage ©Sonatine, 1995

Murakawa et son gang de Yakuzas, version plage ©Sonatine, 1995

Dès lors, Sonatine change de tonalité : exit, pour un temps, les règlements de compte et les représailles et bonjour à un temps nouveau figé, estival et de détente. Kitano et ses sbires jouent dans le sable, à tirer sur une canette ou aux sumos, mais aussi à la roulette russe. Car si la plage apparaît comme un lieu de retraite, elle n’est pas pour un autant un lieu où l’on s’oublie, loin de toute souillure. Après tout, c’est dans la mer, que, par deux fois les yakuzas font disparaître des corps. C’est sur cette même plage qu’une jeune femme, Miyuki, est sauvée in extremis d’un viol par Murakawa. Sur cette plage aussi que ce dernier impose une roulette russe morbide à ses subordonnés ou rêve de suicide. Ainsi deux choses semble s’y croiser avec d’un côté une atmosphère légère et joyeuse de colonie de vacances insouciantes où des yakuzas dansent avec des coquillages, portent des chemises hawaïennes, jouent sur la plage, se douchent sous la pluie et où Miyuki semble elle aussi s’amuser, et de l’autre la violence propre aux yakuzas qui se mêlent à toute cette légèreté : quand ils tirent des feux d’artifice, c’est pour faire une guerre que Murakawa accompagne à coups de revolver, et si l’on tire sur une canette, c’est à balles réelles et en la posant sur sa tête.  La plage se fait terrain de jeu mais l’étiquette de yakuza ne s’efface jamais totalement et quand les vacances prennent fin et le devoir les appelle, c’est toujours en mobilisant de nouveaux symboles de l’été que la transition est amenée :  un tueur à gage déguisé en pêcheur ou une décision capitale prise sous une ombrelle, devant des ketmies, fleurs estivales par excellence. C’est donc dans cette confrontation entre deux mondes que se dessine l’été selon Kitano, un été qui est, effectivement, une période de pause et de jouissance, mais qui n’est jamais que cela, une pause qui implique donc nécessairement une reprise des affaires, alors même qu’au début du film Murakawa espérait prendre sa retraite. Le calme auquel il aspirait, Murakawa l’a eu, mais de manière provisoire uniquement, et, à ce titre, si la mer est dans Sonatine de tous les plans ou presque, elle est une mer profondément triste et mélancolique, un décor trop grand et trop vide pour les personnages.




Un espace immense, dans lequel on joue et on meurt de la même façon que partout ailleurs. Et si Kitano abuse de longs plans fixes dans lesquels les personnages sortent du cadre, c’est bien pour souligner la mélancolie propre à ce lieu, décor unique qui ne change pas alors que tour à tour s’y jouent comédie et tragédie. Une idée que renforce, par ailleurs, au début du film, le chemin que les personnages font pour arriver à la maison sur la plage, filmé avec un enchaînement de plans fixes et mobiles qui montre la distance qu’il faut parcourir pour arriver à la plage, qui apparaît comme, littéralement, le bout du monde. Il faut rouler encore et encore pour s’y rendre sur une route que la longueur des plans rend encore plus désertique. Un décor adéquat, donc, à cette histoire qui est aussi celle de la fin d’une vie, usée par des années à « être méchant » pour reprendre les mots de Murakawa lui-même. Un lieu idéal, en somme, pour un suicide, à l’image du dernier plan du film avec la mer, grise comme le ciel, pour décor.

Sur la (dernière) route

La plage, lieu de la fin du voyage,©Hana-bi, 1997

La plage, lieu de la fin du voyage,©Hana-bi, 1997

Ce parallèle entre plage comme bout de route et fin de vie plaît à Kitano puisque Hana-bi se finira sensiblement de la même façon avec un plan large sur la mer, le son d’une détonation qui mettra fin aussi bien à la musique qu’à la vie. Puis le bruit des vagues qui reprend ses droits, et, enfin, un gros plan sur le visage d’une enfant, témoin de la scène. Le suicide déjà présent dans ce film puisque plutôt, c’était celui raté, d’Horibe, rendu paraplégique, qui était suggéré dans une scène magnifique où la marée montante vient lécher les roues de son fauteuil roulant. La mer serait donc liée, pour le réalisateur, à la mort ? Une idée sur laquelle nous reviendrons au sujet de A Scene at the sea, qui, lui aussi, s’achève (presque) sur un suicide.

Pour l’instant, néanmoins, il nous parait nécessaire de revenir un instant sur Hana-bi et son histoire dans laquelle la mer joue un rôle quelque peu différent de celui qu’elle a dans Sonatine. En effet, Hana-bi est aussi une affaire de voyage et de vacances néanmoins, cette fois, il ne s’agit pas de celles de yakuzas à la plage, mais d’un couple qui sait que ce voyage qu’il entreprend est le dernier, Miyuki, qui n’a rien à voir avec celle présente dans Sonatine, étant condamnée par sa maladie. Alors que le couple est entraîné dans un mouvement permanent propre au voyage, l’histoire d’Horibe, ce flic devenu handicapé, est, en parallèle, celle d’un non-mouvement, d’un mouvement empêché ; une condamnation à l’immobilité qui est aussi une condamnation à l’observation. Là où, dans Sonatine, les yakuzas jouaient avec le sable et les algues sur la plage, Horibe lui, ne peut plus que regarder la mer de loin, et c’est précisément après avoir observé une famille ramassant des coquillages les pieds dans l’eau qu’il fera sa tentative de suicide.

Entre ces deux histoires, de mouvement et non mouvement, se crée donc un effet de miroir évident, le premier se dirigeant vers une fin inévitable tout en faisant l’expérience physique et pas toujours agréable, du monde car Nishi se fait écraser la main en posant des chaines sur un pneu, tombe dans un jardin sec ou manque de se brûler le visage avec un feu d’artifice, et le second, condamné à uniquement le regarder et à le recréer en peinture.

Ainsi, les vacances de Nishi ou la contemplation marine de Horibe sont teintées d’un même sentiment, la mélancolie, celle de deux hommes en fin de course, et qui pourtant, n’interdit pas une certaine légèreté.

Horibe ©Hana-bi, 1997

Horibe ©Hana-bi, 1997

En effet, bien que ce road-trip dans lequel se lance Nishi avec sa femme ait pour terme la mort, cela ne les empêche pas, au contraire, de vivre. Et le réalisateur de mobiliser des symboles propres aux vacances :  nuit dans un ryokan, photo souvenir gâchée par une voiture qui passe, feux d’artifice dans la nuit ou séance de pêche dans un lac. Qui plus est, ces symboles font écho à un plaisir constant et enfantin de la transgression : sonner une cloche pour le plaisir de faire ce qui est interdit ou tomber dans un jardin sec et en détruire les dessins sur les graviers.  Si l’été, les vacances sont mélancoliques chez Kitano, elles sont aussi ce temps, comme c’était déjà le cas dans Sonatine, de jeux enfantins où l’on fait fi des convenances, et même, où l’on s’amuse à les outrepasser.  Et à ce titre, la fin du film saisit à merveille ce paradoxe que Kitano rend propre à cette saison :  Nishi et Miyuki regardent une jeune fille, incarnée par la fille de Kitano elle-même, jouer au cerf-volant sur une plage et semblent apaisés, en témoigne ce plan aérien d’ensemble, leur voiture au premier plan, le couple au second, la petite fille au fond, et la mer sur le côté. Un plan merveilleux de par la façon dont il réunit dans une même image la vie joyeuse d’un enfant qui joue, l’amour d’un couple qui s’enlace et le symbole du chemin qu’ils ont parcouru ensemble qu’est la voiture, et qui néanmoins, s’achève par la mort, en hors-champ. Un plan aussi apaisé et heureux qu’infiniment triste, chargé d’ambiguïté, peut-être précisément parce que la mer elle-même, spécialement au Japon est un objet ambigu, aussi fascinant que terrifiant.

 

Endless Summer

A Scene at the sea, troisième film de Kitano est le premier où la mer occupe une place aussi importante. Surtout, il est le premier à associer dans sa scène finale, suicide et océan avec un personnage qui

©A Scene at the Sea, 1991

©A Scene at the Sea, 1991

disparaît dans l’eau, là encore en hors-champ, ne laissant qu’une planche de surf balotée par les eaux.

Cependant, dire que le film se conclut sur cette scène serait inexacte, puisqu’après viennent une série de séquences qui sont autant de souvenirs, des quasi-photos d’un été unique. A l’inverse de Sonatine ou Hana-bi, A scene at sea ne raconte ni une fuite ni un voyage, mais au contraire l’histoire d’une intégration, celle de deux individus marginalisés par leur handicap (ils sont sourd-muets) et qui trouveront sur la plage et dans la pratique du surf, un groupe auquel appartenir. A ce titre, rien d’étonnant, à ce que pour accéder à la mer, il faille descendre sous un pont et passer des escaliers obscurs que Kitano filme de face : la plage est un monde à part, un monde avec ses codes et sa population. Elle est autant un monde qu’un théâtre où l’apprentissage silencieux et acharné des protagonistes est mis en scène pour des spectateurs d’abord rieurs mais silencieux et respectueux face à leurs échecs, puis finalement amicaux et compréhensifs.

Ainsi, peut-être plus que jamais chez Kitano, dans A Scene at the sea, la mer est un objet que l’on regarde, à l’image de Shigeru qui, lors d’une compétition de surf, n’entend pas son nom et passe sa journée sur la plage à regarder l’océan sans jamais surfer. Une idée qu’en interview, Kitano lui-même confirme :  avec ce film, il a voulu montrer comment pour quelqu’un de malentendant, un paysage ordinaire et parfois laid comme les plages de Chiba où le film a été tourné, devient magnifique malgré tout.

Ce n’est pas tant la mer que ce que Shigeru y voit qui compte, et c’est à ce titre que conclure le film par des images figées est une idée brillante, puisqu’elles donnent à voir, précisément, la subjectivité d’un été, non pas comme il est passé mais comme il a été vécu. Elles sont autant de moments choisis, en d’autres mots, suffisamment importants pour avoir été choisis, et dès lors, que « Cet été-là, la mer ait été la plus calme » n’est pas ce qui importe à notre surfeur mais bien les traces de cet été passé à surfer, en groupe et ce, malgré sa disparition. Sur le sujet d’ailleurs, nous pouvons citer Kitano lui-même : « retourner à la mer, c’est comme monter au ciel, devenir une divinité ». Pour le réalisateur, quand l’homme retourne à la mer, il retourne à ses origines, il ne meurt pas. Des propos qu’il faut prendre avec des pincettes, avec un Kitano qui reconnaît son goût pour « l’amour fatal » et il a lui-même eu un accident en 1994 dont il a suggéré qu’il aurait pu être un suicide. Néanmoins, ils éclairent malgré tout la fin du film, et peut-être aussi, celles de Sonatine et Hana-bi, en tout cas, ils laissent à penser que pour ces été filmés par Kitano, la mort n’est pas une fin sur laquelle il faut pleurer, pas une fin triste car avec elle s’accompagnerait de quelque chose de positif, un apaisement ou un renouveau.

L’été de Kitano

Le plan large pour appuyer la tristesse et la solitude ©L'été de Kikujiro, 1999

Le plan large pour appuyer la tristesse et la solitude ©L’été de Kikujiro, 1999

Pour autant, son film le plus estival, L’Eté de Kikujiro, se place dans un tout autre registre, celui de la farce légère, et, affirmons-le dès à présent, ici, la mort n’y trouve pas sa place bien qu’il s’agisse à nouveau d’un voyage, cette fois celui d’un enfant, Masao, qu’un vieil homme, mi-escroc, mi-yakuza et incarné encore et toujours par Kitano, on ne se refait pas, accompagne dans sa recherche de sa mère qu’il n’a jamais connue. Un voyage placé donc, sous le signe de la tristesse, celle d’un orphelin abandonné. Il faut voir ce plan déchirant du jeune enfant seul au-milieu d’un terrain de foot ou la façon qu’il a d’appeler ses amis partis en vacances.

En même temps, L’Eté de Kikujiro est un voyage à travers autant de symboles de l’été, matsuri, feux d’artifices, pastèques ou camping. Une association qui n’a rien de surprenant tant elle semble être systématique chez Kitano, mais qui nous intéresse ici. Car là où, dans les trois premiers films évoqués, il s’agissait d’une sublimation de la mélancolie aboutissant à la mort, L’Eté de Kikujiro est une affaire de dépassement, de transcender la mélancolie pour refaire de l’été une saison de plaisir. Et comme souvent chez Kitano, ce dépassement se fait par la transgression : après tout, l’accompagnateur de Masao est un voyou pas vraiment repenti qui lui prend son argent pour jouer aux courses, vole un taxi et s’applique à enfreindre une par une les règles de l’hôtel où ils dorment. Une transgression dont Masao est d’abord la victime avant d’en devenir l’observateur voire même le complice, et qui contribue à donner à leur voyage son caractère ludique. Tout détestable que soit le vieil homme, sa maladresse le rend aussi particulièrement comique, et dans les moments importants ce vieux voyou devient une véritable figure paternelle, comme celui où il sort Masao des griffes d’un pédophile, qu’il n’oubliera néanmoins pas de racketter après l’avoir tabassé, où il le réconforte lorsque l’enfant réalisera qu’il ne retrouvera pas sa mère, en volant au passage deux bickers. En somme, pas toujours honnête, il reste un protecteur, un guide pour le jeune enfant, et, lors de la scène la plus touchante du film, celle d’un bivouac avec un auteur en vadrouille et les

deux bickers qu’il avait volé, il se démènera pour amuser Masao. Ainsi, le film donne à voir, à la faveur de l’été et en en mobilisant les symboles, la naissance d’une relation de confiance. Rien de surprenant alors,

Masao et Kikujiro ©L'été de Kikujiro, 1999

Masao et Kikujiro ©L’été de Kikujiro, 1999

que le moment clef de la construction de cette relation se déroule sur une plage, premier lieu où Masao et le vieil homme ont une activité commune qui est de dessiner dans le sable, et surtout, lieu à partir duquel ils décident de rentrer, faisant, très littéralement de la mer le point de départ de leur voyage retour. Et si l’été est si important dans le film, c’est bien parce qu’il est un temps à part, celui des vacances que Masao et le vieil homme n’avaient jamais investi.

A l’image de Shigeru qui, dans A Scene at the sea va se fabriquer, en surfant, des souvenirs d’été précieux, Masao et le vieil homme doivent eux aussi construire leur été, lui donner cette valeur si particulière qui est la sienne. Et là encore, cela fait sens au vu de la forme que prend le film, des chapitres illustrés d’une photo et légendés avec une écriture enfantine qui laissent à penser que L’Eté de Kikujiro tout entier est un carnet de vacances écrit par Masao lui-même, une liste de souvenirs qu’il a partagés avec le vieil homme et qu’il veut garder avec lui. Et si le film ne s’appelle pas L’Eté de Masao¸ c’est pour une raison toute simple. En effet, on devine assez aisément de qui Kikujiro est le nom dans le film, mais il est surtout le nom véritable du père de Kitano et à ce titre, il faut le lire comme « L’été de mon père » ou « L’été avec mon père ». Un titre qu’on ne sait pas vraiment à qui attribuer, Kitano lui-même ou bien le jeune Masao ? Certainement les deux. Dans tous les cas cependant, il fait la part belle aux souvenirs et c’est ce qui compte dans le fond, car il fait, précisément, de l’été la saison des souvenirs, pas ceux que l’on ressasse au coin du feu en tournant les pages d’un album photo poussiéreux, mais au contraire ceux que l’on se fait, en étant actif, en vivant. Rien de surprenant alors que le film s’ouvre et se conclue de la même façon, sur l’enfance en mouvement avec Masao courant sur un pont sans que l’on puisse dire si c’est avec des histoires à raconter ou au contraire vers une nouvelle aventure.

A la mer, nous ne sommes pas tout à fait les mêmes. Elle transforme : Shigeru en poisson, Horibe en peintre, Murakawa en un enfant espiègle et Kikujiro en père. A trop la regarder, on en sort changés, pour le meilleur comme pour le pire. C’est au fond ce caractère fascinant de l’océan que exposer Kitano au travers sa filmographie, ce caractère magnétique. Elle attire ses personnages comme sa caméra. Eux s’y perdent, lui la filme, en long et en large, avec des plans fixes et des travellings. Agitée ou calme, grise ou bleue. De la même façon, un été avec Kitano n’est pas figé dans une image d’Épinal nostalgique, c’est un moment changeant, comme la mer, qui alterne entre pur temps de jouissance ou de mélancolie. C’est surtout un moment de résolution, où les choses se passent, les histoires se jouent et touchent à leurs fins, qu’elles soient définitives ou annonciatrices d’un nouveau départ. Un été avec Kitano, c’est un été sur une plage au bout du monde, à profiter aussi bien des tempêtes que des jours de beau temps, c’est un moment précieux dans ce qu’il a de plus beau et de plus triste, en somme, un grand moment de cinéma.

3 réponses

  1. Ju dit :

    Magnifique article.
    Savez vous ce que devient ce grand artiste.
    Depuis qu il a quitté son studio Office Kitano et que son ami Osugi Ren est décédé je n arrive à trouver aucune news à son sujet…
    Il devait sortir un film mais le projet n’a pas été abandonné ?

    Merci

    • Alexis Molina dit :

      Tout d’abord, très content que l’article vous ait plu 🙂
      Pour ce qui est de ce que devient Kitano, difficile à dire … Depuis son dernier Outrage il n’y a en effet plus d’infos à son sujet … Lors de son départ d’Office Kitano il disait vouloir avoir plus de temps pour lui … Il faur donc espérer que son prochain film n’est que repoussé et pas abandonné

  1. 17 août 2019

    […] Même sans être au cœur de l’histoire ou sa thématique principale, le furyô est présent un peu partout dans les mangas grands public parmi les plus célèbres : les héros d’Akira de Katsuhiro OTOMO sont des bôsôzoku pur jus ; le héros basketteur de Slam Dunk, Hanamichi SAKURAGI, arbore pendant de nombreux tomes sa coupe de yankee ; l’un des dessinateurs de Bakuman ne jure que par le furyô manga ; le héros de Beelzebub dans les années 2010 multiplie les références; et plus récemment, le héros de classe S, Batte-man, dans One-Punch Man mériterait son propre furyô manga ! La liste est encore bien longue tant ce personnage du bandit au grand cœur est ancré dans la culture japonaise, et se retrouve aussi incarné très souvent au cinéma, comme dans les films de Takeshi KITANO. […]

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