Rencontre avec Eric Faye, l’écrivain-explorateur du Japon

Eric Faye était accueilli à la librairie Au temps lire de Lomme, dans les Hauts-de-France, pour une rencontre autour de son dernier livre Fenêtre sur le Japon. Première rencontre avec public depuis la sortie du livre en plein confinement : l’auteur était ravi de retrouver ce contact réel avec les lecteurs. L’occasion de revenir sur certaines de ses œuvres où il explore la face cachée du Japon qui l’interpelle tant.

Fenêtre sur le Japon : exploration en mots et en images

Eric Faye, à droite, à la librairie Au temps lire, copyright Au temps lire

Eric Faye, à droite, à la librairie Au temps lire. ©Au temps lire

Il est parfois difficile d’expliquer pourquoi on apprécie, on s’attache à quelque chose, c’est à ce qu’il paraît le propre de l’amour. C’est ce qui est arrivé à Eric Faye quand il a mis les pieds au Japon pour la première fois. Fin connaisseur de l’Asie de l’Est qu’il sillonne dès qu’il le peut, Eric Faye découvre le Japon comme une étape logique de son périple. A partir de ce moment-là, la beauté géographique et la culture du pays finissent de créer un lien indicible entre le Japon et lui.

Ce qui le séduit, c’est le bond culturel entre sa propre culture occidentale et celle japonaise qu’il est possible de synthétiser par un bond vers l’étrangeté. Pour lui, l’étrangeté fait partie du Japon et y occupe une place plus…naturelle qu’en Occident. Eric Faye a alors eu envie de comprendre cette société, d’aller plus loin dans l’apprentissage de la culture et, surtout de déconstruire les clichés pour apprendre vraiment ce qu’était le Japon. 

Des décennies d’exploration, de recherches et d’études lui ont permis d’accumuler un tourbillon de connaissances auquel il avait envie de donner une forme pour le partager notamment avec un public de lecteurs qui possède une certaine attirance pour le Japon et qui est ouvert à la découverte, voire à l’exploration. Pour cela, il a imaginé un guide ou une sorte de dictionnaire amoureux revisité, entre récit de voyage et essai. Il y transmet ses connaissances au travers d’une promenade dans la culture japonaise grâce à des œuvres souvent confidentielles d’écrivains et de cinéastes.

Le livre s’ouvre avecEric Faye - Fenêtres sur le Japon les écrits du moine Kamo no Chomei sur le sentiment d’impermanence et de brièveté de la vie. Ce thème inaugural est une passerelle directe pour le cœur de la culture japonaise et il est, pour Faye, le fil rouge de son livre offrant aux lecteurs un chemin logique pour passer d’une œuvre à l’autre. Les livres et films cités sont un regard sur des facettes de la société japonaise peu connues ou exploitées, et évitent de tomber dans le cliché. Et quand il s’agit d’artistes célèbres, Faye est allé explorer les recoins de leur bibliographie et filmographie pour en extraire des titres oubliés ou ignorés mais tout aussi évocateurs de la société japonaise.   

Cette sélection, étonnante et originale, qu’a opérée l’auteur est aussi jalonnée de créations possédant une part sombre car pour Eric Faye, elles permettent d’explorer le subconscient d’un pays et de parler des sujets dissimulés. Le Japon n’est pas différent d’un autre pays : si on va au-delà de l’image positive et des qualités mises en avant, il y a les défauts et cette fameuse part d’ombre. Mais l’objectif pour Faye n’est pas de les opposer comme les revers de la même médaille, vision trop stéréotypée selon lui, mais plutôt de démontrer que tout est lié : le positif, le beau et le bon existent parce qu’il y a le sombre, le glauque, le caché, et inversement. Pour le Japon, il y a le sens du détail, l’harmonie, la délicatesse, la propreté et l’isolement, le repli, la lâcheté, la pauvreté.

Pour illustrer ses propos, Eric Faye évoque le choix d’un film de propagande d’Akira KUROSAWA réalisé durant la Seconde Guerre mondiale et celui d’un autre de ses films, pétri d’humanisme, qu’il a réalisé à la sortie de la guerre.  Loin de lui l’idée de juger KUROSAWA mais de rapprocher ces deux films pourtant si opposés mais nés du même homme à quelques années d’écart, comme un tout, une continuité, un chemin. Vivant dans le contexte très particulier de la guerre, KUROSAWA, à l’image de son pays, a basculé d’une idéologie militariste et de supériorité à une idéologie pacifiste et s’ouvrant à la démocratie.

Transformer les faits réels en œuvre de fiction

Les faits divers ou historiques représentent pour Eric Faye un terreau fertile pour développer des histoires de fiction.Eric Faye - Eclipses japonaises C’est le cas dans son roman Eclipses japonaises où, à partir d’un fait historique, d’un nœud diplomatique et d’un fait divers, il déploie une exploration des rouages sombres des sociétés grâce à des personnages qui démêlent et révèlent ce qui était caché. Mais c’est avant tout le sort connu par ces Japonais brusquement déracinés, enlevés pour être emmenés en Corée du Nord et forcés d’y rester pour enseigner leur langue qui l’a affecté. Comment peut-on vivre, après avoir été arraché et exilé de force, retenu dans un pays qu’on ne connaît pas et dans une vie que l’on a pas choisie ? Où est l’espoir de retourner au pays, d’envisager l’avenir ? 

Il explique en partie son attrait pour les faits divers et son utilisation de ses derniers comme source d’inspiration par son expérience professionnelle en tant que journaliste. Il applique d’ailleurs en partie une méthodologie journalistique dans la préparation de ses romans, allant, par exemple, jusqu’à rencontrer certains protagonistes des faits réels. Mais sur la phase d’écriture, Eric Faye plonge ces événements dans la fiction et il avoue même adorer détourner les faits divers et les tirer vers le fantastique. 

D’ailleurs, c’est un fait divers terrible qui l’a inspiré pour son court roman Nagasaki, grand prix du roman de l’académieEric Faye - NAGASAKI française. L’histoire d’une femme sans domicile qui entrait et occupait le logement d’un homme avant que ce dernier n’arrive à la démasquer après un an. L’affaire, datant de 2008, avait fait sensation. Eric Faye en tire un roman où il explore l’étrangeté de la situation en imaginant la psyché de l’homme dans la première partie du livre qui se croit devenir fou quand il observe des objets déplacés ou de la nourriture disparue chez lui avant de basculer du côté de la femme et de son quotidien glauque de squatteuse. En toile de fond, une société qui isole et exclut.

Le phénomène de hikikomori le fascine également à l’instar de Keiishirô HIRANO dans La dernière métamorphose. C’est un phénomène que les familles cachaient et cachent encore, que la société entière glissait sous le tapis car révélateur trop évident d’un de ses côtés sombres. En effet, cet isolement volontaire est une conséquence de la pression que subissent les Japonais dès leur plus jeune âge dans une société qui se bâtit sur un système scolaire très compétitif et concurrentiel. C’est aussi un phénomène qui évolue avec elle puisqu’il pénètre désormais les générations affectant des hommes entre 40 et 60 ans qui ont perdu la sécurité de l’emploi à vie qu’offrait avant l’entrée dans une grande société.

 

En conclusion de cette rencontre, Eric Faye a choisi ses compagnons pour un voyage rêvé au Japon : les réalisateurs Mikio NARUSE et Hiroshi SHIMIZU, les écrivains Keiichirô HIRANO et Yukio MISHIMA pour un voyage sur la route des 88 temples sur l’île de Shikoku ou sur les îles d’Okinawa qu’Eric Faye a découvert grâce au livre de Kenzaburo OE, Notes d’Okinawa et qui, depuis, le passionnent.

Merci à la librairie Au temps lire en association avec la médiathèque de Lomme pour l’organisation de la venue d’Eric Faye. D’autres événements autour du Japon sont à découvrir jusqu’en décembre, n’hésitez pas à consulter régulièrement les RS de l’odyssée médiathèque Lomme et ceux de Au temps lire.

Lien vers le dernier livre d’Eric Faye : https://www.editions-picquier.com/produit/fenetres-sur-le-japon/

 

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