Pourquoi les Japonais voyagent si peu à l’étranger ?

Hormis au Japon, il n’est pas si fréquent de croiser des Japonais en vadrouille. Les Nippons sortent assez peu de leur pays et en plus d’un manque de temps et de moyens chez les plus jeunes, d’autres raisons expliquent ce désamour du voyage à l’étranger partagé par une grande partie de la population : peurs, lacunes linguistiques, haute estime de l’archipel.

Interrogeons-nous sur les motifs les plus évidents, afin de mieux comprendre ce phénomène…  

Passeport – Photo de Global Residence Index sur Unsplash

Très peu de passeports chez les Japonais

Selon les chiffres du ministère des Affaires étrangères japonais, seulement 23 % de la population nippone détiendrait un passeport. À titre de comparaison, 80 % des Français en possèdent un. Un chiffre étonnant, quand on sait que le passeport japonais trône à la 2e place du classement établi par le Guide Passport Ranking Index (2024), qui se base sur la puissance – soit le score de mobilité – de ce document d’identité. Ce qui ressemble à une aubaine pour tout voyageur ne semble pas particulièrement émoustiller les habitants de l’archipel, et on est en droit de se demander pourquoi.

Avant cela, intéressons-nous à quelques chiffres qui confirment le peu d’attrait qu’ont les Japonais pour les voyages à l’étranger. Le premier d’entre eux démontre que la moitié des jeunes de moins de 20 ans n’ont jamais quitté leur pays et que la plupart d’entre n’ont pas spécialement envie de le faire. Parmi ceux qui sont déjà partis, l’âge idéal pour voyager serait de 12,8 ans, et de 14,3 ans pour les autres. Un indicateur qui permet de comprendre que le cadre scolaire ou les éventuels voyages en famille durant la jeunesse, quand il suffit de se laisser guider, semble attirer davantage qu’un voyage en totale autonomie.

Passagers, Japon – Photo de Phurichaya Kitticharin sur Unsplash

Pour autant, le nombre d’étudiants japonais dans le monde a été divisé par trois entre 2004 et 2024. Une étude de 2017, sur des jeunes diplômés et nouveaux arrivants sur le marché du travail nous apprend que 60 % d’entre eux ne veulent pas quitter le Japon, alors qu’ils n’étaient que 28,7 % à le penser en 2004. Une baisse d’intérêt générale pour l’étranger – en totale opposition avec l’attrait que suscite le Japon actuellement. Le confirme un sondage de 2023, qui rapporte que 35 % des Japonais ayant voyagé en dehors des frontières de l’archipel ne sont pas intéressés à réitérer l’expérience.

Les facteurs pouvant expliquer ce phénomène sont divers, mais la première raison sonne comme une évidence quand on connaît un peu la mentalité locale : le Japon est le pays n°1 dans le cœur de ses habitants.

L’herbe ne semble pas plus verte ailleurs

Alors que le voyageur européen pourrait avoir une tendance à s’imaginer que l’herbe est plus verte ailleurs, voire à idéaliser certaines destinations, l’inverse n’est globalement pas réciproque pour les Japonais. Quand c’est le cas, la déception peut être assez forte. Ce schéma est parfaitement illustré par « Le syndrome de Paris », où la différence entre les attentes et la réalité des choses créé un choc psychologique violent débouchant sur divers symptômes psychiatriques. Il y a un gouffre énorme entre ce que l’imaginaire s’est forgé, à coup de films et de séries – comme Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, pour rester sur l’exemple parisien – et la réalité. S’il reste très rare, ce syndrome est suffisamment connu pour effrayer les voyageurs hésitants. Et justement, cette peur, rationnelle ou non, est l’une des causes de la réticence des Japonais à quitter l’archipel. 

chikyu no arukikata guide voyage
Chikyu no arukikata

Le Japon est considéré comme l’un des pays les plus sécurisés au monde et il peut être difficile de retrouver un tel sentiment de tranquillité ailleurs. Les médias japonais véhiculent cette idée de dangerosité, en relatant quotidiennement les faits divers, les crimes et les histoires sordides se déroulant en Europe ou en Amérique, ce qui renvoie l’image de pays présentant un risque pour le voyageur peu prudent. Et les Japonais, habitués à déambuler sereinement chez eux, sont souvent présentés comme des cibles parfaites quand il s’agit de parler d’arnaque, de vol ou d’agressions, du fait de leur candeur. L’un des exemples les plus parlant de cette manière de procéder se trouve dans le guide de voyage le plus vendu : Chikyuu no arukikata. Cette référence absolue pour les globe-trotter, comparable au Lonely Planet, consacre souvent plusieurs pages aux dangers inhérents à chaque pays, en illustrant les propos de cas concrets et d’histoires dont les victimes sont des Japonais. Une manière de présenter les choses qui peut décourager, particulièrement ceux qui considèrent que le Japon est un pays exceptionnel et qu’il offre largement de quoi satisfaire toute soif de découverte.

Ensuite, on peut entendre que les paysages sont variés, et que d’Hokkaido à Kyûshû, on traverse une variété de lieux que même la visite de plusieurs pays ne permettrait pas de voir ; la nourriture la plus saine et la plus raffinée se trouve au Japon et peu de pays peuvent se targuer d’offrir une telle expérience culinaire ; les gens sont courtois, bienveillants, loin des comportements déplacés que certains touristes adoptent au Japon et qui donnent une bien mauvaise image de l’étranger ; il est facile de se déplacer, avec une organisation sans faille et des transports en commun à l’heure ; c’est propre et les règles d’hygiène de base sont respectées.

Un constat idyllique, qui comprend une part de vérité et une vision idéalisée du Japon, mais qui témoigne surtout de la très haute estime que les habitants ont de leur propre pays. Pourquoi aller voir ailleurs, quand on dispose de l’essentiel sur place ? Notez qu’il s’agit d’un trait de caractère propre aux habitants des territoire insulaires, qu’on retrouve chez d’autres citoyens de régions ou de pays aux caractéristiques géographiques similaires. Bien entendu, tous les Japonais ne placent pas le pays sur un tel piédestal et ceux qui voudraient découvrir le monde se refusent parfois à le faire pour des raisons plus pragmatiques.

Mont Fuji – Photo de Ikarovski sur Unsplash

Des lacunes linguistiques et organisationnelles qui découragent

Le manque de confiance qu’ont les Japonais dans leurs facultés à organiser un voyage, à se débrouiller seul à l’étranger et à communiquer dans une autre langue que la leur est un véritable frein aux envies de voyage. On l’a vu, nombre d’entre eux n’ont pas voyagé en dehors du cadre scolaire et ceux qui sortent du pays choisissent bien souvent des destinations voisines – Séoul, Taipei, Guam, Hawaï – où les services et les infrastructures touristiques sont adaptés à leurs besoins et où il est plus aisé de parler japonais.

De fait, lorsqu’ils quittent leur zone de confort, les Japonais n’hésitent pas à avoir recours à des visites guidées, des balades de groupe et des activités prévues spécifiquement pour une clientèle nippone, sans trop sortir des sentiers battus.

Metro en France – Photo de Fabien Maurin sur Unsplash

Évidemment, l’absence de maîtrise de la langue anglaise (et plus globalement d’une langue étrangère), encore d’actualité malgré l’essor de la présence d’étranger dans les grandes villes, n’arrange pas les choses. Cette difficulté à communiquer, dans une culture où l’on se confronte rarement à l’autre (comme le veut le concept du Honne et Tatemae), entraîne une gêne constante et une timidité qui desservent les voyageurs : que faire si on est perdu ? Comment se faire conseiller un plat ou acheter des billets de train ? De quelle manière réagir si on nous interpelle ? Autant de questions qui peuvent stresser les moins téméraires et les inciter à abandonner tout projet de voyage lointain, en privilégiant la solution de facilité locale.

Un dernier élément peut compliquer l’organisation d’un voyage vers une destination lointaine et il est lui aussi lié à de mauvaises connaissances en langues étrangères. Les ressources – guides, blog, vlog – en japonais sont logiquement moins nombreuses et de fait, il peut être plus compliqué d’accéder à des conseils, des recommandations, des bons plans, qui facilitent la tâche aux voyageurs des pays dans lesquels le nombre de globe-trotter est élevé. Pour un francophone, qui préparerait un voyage au Japon, les guides-papiers sont légion !   

Les craintes, les doutes, les difficultés rencontrées, ne doivent pas faire oublier que les Japonais qui plébiscitent les voyages à l’étranger existent bel et bien, même s’ils sont une minorité, et que leurs concitoyens les considèrent parfois comme des anomalies ou des excentriques. Ils se confrontent hélas à une réalité économique, des obligations familiales et des traditions qui rendent la réalisation d’un voyage peut être plus compliquée que chez nous.

Manque de temps, manque de moyens et obligations familiales 

Pendant de longues années, le Japon a été vu comme un pays de travailleurs acharnés, autorisés à ne prendre des vacances qu’en cas de force majeure. Les choses ont changé et le gouvernement, soucieux de relancer la natalité et de s’adapter à la mentalité des nouvelles générations, a fait quelques efforts. Les salariés peuvent bénéficier, à minima, de 10 jours de congés payés, et ils sont incités à les prendre. En 2023, la moyenne de congés payés s’est élevée à 17,6 jours, selon une étude du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales. De plus, le pays compte un grand nombre de jours fériés – 16 en 2025 -, qui pourrait laisser à penser que le temps n’est pas un souci pour un potentiel voyageur. Toutefois, le Japon est un pays de traditions et certaines périodes sont associées à des obligations familiales ou des rituels, auxquels il peut être difficile d’échapper.

D’ordinaire, les congés sont pris durant la Golden Week (fin avril/début mai), car les quatre jours fériés de la période permettent, en prenant des jours off, de bénéficier de vacances plus longues, à l’instar des ponts de mai en France. De nombreuses célébrations – jour des enfants, anniversaire de l’Empereur, commémoration de l’instauration de la constitution japonaise – ont lieu à ce moment et de nombreux Matsuri sont organisés à travers le pays. Pour les autochtones, tous les ingrédients sont réunis pour profiter du Japon dans de bonnes conditions et il n’y a pas de raison d’aller voir ailleurs.

Periode de matsuri – Photo de Nicholas Ng sur Unsplash

Les deux autres périodes de congés principaux sont le mois d’aout, pour la célébration de Obon, et la période entourant la nouvelle année. Lors du Obon, les Japonais peuvent traverser le pays pour rendre visite à leurs proches restés dans leur ville natale et honorer les ancêtres en visitant leurs tombes, comme le veut la coutume. C’est un rituel bouddhiste encore très respecté et une véritable obligation familiale à laquelle on ne se défile pas. Pour les fêtes de fin d’année, on reste entre amis (à Noël) et en famille (pour le jour de l’an). Le temps libre est donc consacré aux proches et aux traditions, ce qui explique la difficulté de se libérer pour un séjour prolongé à l’étranger.

Enfin, l’économie en berne du Japon, avec un yen qui atteint des sommets historiquement bas depuis quelques années, une inflation forte et des salaires qui stagnent, n’aident pas les Japonais à voyager. Malgré une revalorisation salariale promise par le gouvernement et certaines entreprises en 2024, afin de soutenir la croissance et de retenir les employés alors que la main d’œuvre vient à manquer cruellement, le pouvoir d’achat des foyers est en baisse et les dépenses consacrées aux loisirs n’entrent plus dans les priorités. Ce n’est qu’une fois la stabilité atteinte, souvent à l’heure où la retraite sonne, que les seniors Japonais qui ont toujours rêvé de voyager s’autorisent enfin à la faire.

L’ensemble des éléments évoqués ci-dessus permettent de mieux cerner le rapport des Japonais au voyage à l’étranger. De la volonté moins marquée de découvrir des cultures lointaines et très éloignées de la leur, pour une partie de la population contente de l’environnement dans lequel elle évolue, aux difficultés à le faire, pour d’autres, qui sont confrontés à des obstacles divers (linguistique, économique, temps), les habitants du Japon ne sont définitivement pas les plus grands voyageurs du monde, malgré un passeport qui leur ouvre de nombreuses portes.

Sources :

Mickael Lesage

J’ai découvert le Japon par le biais d’un tome de Dragon Ball il y a fort longtemps et depuis, ce pays n’a jamais quitté mon cœur…ni mon estomac ! Aussi changeant qu’un Tanuki, je m’intéresse au passé, au présent et au futur du Japon et j’essaie, à travers mes articles, de distiller un peu de cette culture admirable.

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