Death Row Family – Pendez-les haut et court !

Yûki KOBAYASHI est un nom nouveau dans le paysage cinématographique japonais. Nous avons rencontré le jeune réalisateur lors le passage à Paris pour présenter son second long métrage, Death Row Family, à l’Etrange Festival. Un film de yakuza atypique, violent et rempli d’un humour d’autant plus noir qu’il s’agit d’un fait réel. L’occasion de découvrir un auteur à suivre qui semble s’engager dans la voie cinématographique d’un Kinji FUKASAKU.

 

L'affiche japonaise de Death Row Family

L’affiche japonaise de Death Row Family

Étrange Sensation

S’il marque la fin de l’été et des vacances pour beaucoup, le mois de septembre est aussi l’occasion d’un événement que nous attendons chaque année avec impatience: l’Étrange Festival. Un rendez-vous fort en émotions cinématographiques, y compris japonaises, puisque l’équipe de l’Étrange affectionne particulièrement le cinéma nippon et n’oublie jamais de présenter au sein de sa programmation quelques bobines du cru, aussi bien des classiques introuvables que des longs-métrages de la dernière fraîcheur.
Cette année étaient présentés 5 films japonais auquel s’ajoutait en clôture Mutafukaz, film d’animation du studio Ankama, tiré de la BD éponyme et animé par le légendaire studio 4°C. Ainsi, on a pu voir 2 rares classiques exhumés des coffres-forts – l’expérimental film muet Une Page Folle de Teinosuke KINUGASA et le très pop Lézard Noir de Kinji FUKASAKU – et 3 films récents – Avant que nous disparaissions, petite récréation délirante que s’est offerte Kiyoshi KUROSAWA, Tokyo Vampire Hotel de Sion SONO et Death Row Family du nouveau venu Yûki KOBAYASHI.

Si Sion SONO, un habitué du festival que l’on apprécie particulièrement ici, était en très petite forme avec un long métrage qui est une version remontée avec fin alternative de sa série produite par Amazon, c’est  Yûki KOBAYASHI avec Death Row Family qui a plutôt crée l’événement. Le film est une réussite et son jeune réalisateur, un phénomène : arrivé à la projection en singeant un yakuza, costume, coiffure et démarche inclus, il en est reparti fesses à l’air. Tout cela au terme d’une séance de questions/réponses dont le clou fut une reconstitution d’une des scènes de meurtre clé du film avec la complicité du public !
Son film bénéficiant d’un beau bouche-à-oreille avant même sa sortie japonaise (le 18 novembre prochain) et du crédit d’un tournage épique au rythme quasiment aussi stakhanoviste que celui de ses illustres prédécesseurs SONO et MIIKE, il y a fort à parier que KOBAYASHI deviendra vite la nouvelle coqueluche du public et des critiques occidentaux.

Gibiers de potence, père et fils.

Gibiers de potence, père et fils.

Affreux, sales et méchants

Death Row Family (titre original Zenin ShikeiTous des gibiers de potence) est le second long-métrage de Yûki KOBAYASHI. Basé sur un fait divers qui fit parler de lui au Japon, il raconte l’histoire de Takanori, fils d’un petit parrain Yakuza, un peu minable. A peine sorti de 2 ans prison pour un crime commis par son grand frère, Takanori se retrouve contraint d’assister celui-ci sur le braquage d’une famille concurrente et de supprimer les témoins gênants. Avec un style sec qui rappelle les films de yakuza de Kinji FUKASAKU, le réalisateur parvient à faire exister des personnages qu’il dépeint sans complaisance ni pitié, à commencer par son personnage principal. Un salop qu’il n’excuse pas mais auquel on finit par s’attacher, notamment grâce au personnage de la petite amie. Avec ce film, Yûki KOBAYASHI se pose ainsi en héritier du genre jitsuroku de son illustre aîné.

L'anti-héro Takanori, accompagné de sa petite amie.

L’anti-héro Takanori, accompagné de sa petite amie.

A l’écran, le déluge de violence qui parcourt le film n’est pas gratuit car KOBAYASHI en traduit parfaitement l’absurdité, finalement source d’un humour d’autant plus noir que cette violence-là est bien réelle. Après Hime Anhole l’an dernier, Death Row Family est le nouveau coup de poing dont le cinéma japonais avait besoin. Alors que Takashi MIIKE ne fait plus illusion depuis longtemps et que ce petit malin de Sion SONO dilapide son talent dans des films et des séries vides à peine sauvés par sa maestria visuelle et son sens de l’absurde, Yûki KOBAYASHI pourrait bien être la relève que le cinéma japonais attendait.

Nous avons justement eu la chance de rencontrer le jeune réalisateur au lendemain de la projection de son film.

Pendez-les haut et court : Histoires de Furyo

Journal Du Japon : c’est votre deuxième film et le premier qui nous arrive en France. Pourriez-vous présenter votre parcours au public français et nous expliquer ce qui vous a amené à devenir réalisateur ?

Yûki Kobayashi

Yûki KOBAYASHI – Photo Aude Boyer pour ©journaldujapon.com

Yûki KOBAYASHI : A l’origine, je suis graphiste, mais depuis tout petit j’aimais beaucoup le cinéma. Je travaillais donc dans une agence de design. Quand la soirée de travail se prolongeait, ce qui était souvent le cas, j’en profitais généralement pour parler cinéma avec mes collègues, et plus particulièrement pour me montrer durement critique à l’égard des films que je voyais, expliquant comment je m’y serais pris en lieu et place des réalisateurs. A force d’écouter mes commentaires, mon chef a fini par me conseiller de m’y mettre moi-même plutôt que de dire du mal des autres. C’est comme ça que j’ai pris conscience de cette possibilité.

J’ai commencé par réaliser des films auto-produits avec des amis. J’ai d’abord fait des films avec des furyo et des yankee (deux termes qui désignent les jeunes voyous) de mon quartier, et au fur et à mesure, de plus en plus de voyous voulaient jouer dans mes films. C’est ainsi qu’est né mon premier long-métrage. Il a reçu le premier prix au festival de Yubari, dans le nord du Japon. A la suite de ce prix, M. NISHIMURA, qui est réalisateur et Yoshinori CHIBA, qui est producteur à la Nikkatsu, des voyous adultes en quelques sortes (rires), m’ont demandé quel film je voulais réaliser. Je leur ai parlé d’un scénario se déroulant dans des HLM habités uniquement par des furyo, mais le producteur m’a dit qu’il était actuellement très difficile de tourner dans des HLM au Japon. On a donc laissé tomber ce projet. Un jour, j’ai posté sur ma page Facebook une photo du livre Death Row Family que j’espérais bien adapter à l’avenir. Quand le producteur du studio Nikkatsu a vu mon post, il m’a proposé de nous y mettre dès maintenant. C’est comme ça que le projet a démarré. C’est en quelque sorte grâce à Facebook que j’ai pu réaliser ce film.

 

Justement, hier après la séance, vous avez expliqué que ce livre vous passionnait depuis le lycée. Qu’est-ce qui vous a particulièrement attiré (le livre relate un fait réel) ? Et vous avez parlé de votre premier film qui abordait déjà la question des yankee et des furyo. C’est un thème qui vous attire particulièrement ?

En effet, l’univers des furyo m’a toujours intéressé, mais c’était tout particulièrement le cas quand j’ai découvert ce livre. Il montre très bien la hiérarchie et les rapports de force au sein d’un groupe. Le second fils est en bas de l’échelle dans la hiérarchie familiale. C’est pourquoi c’est toujours lui qui exécute les assassinats. Il a d’ailleurs bien conscience que c’est mal, mais il le fait pour la famille, parce qu’on le lui demande. Il se sent finalement obligé de suivre les consignes familiales. C’est ce rapport de force qui m’a toujours intéressé. Les personnes contraintes de suivre l’avis des autres à cause du poids de la hiérarchie me touchent particulièrement. De plus, quand la violence commence, elle devient inarrêtable. Cette inéluctabilité de la violence m’intéressait beaucoup. Les personnages mis en scène dans cette histoire, par exemple, ont commis des meurtres, mais ils s’imaginent que jeter la voiture, ou le coffre dans la rivière suffira à tout effacer. C’est une idée très absurde, mais à laquelle ils croient véritablement. Ils justifient la violence de leurs actes pour la bonne cause familiale.

Takanori, personnage principal du film.

Takanori, personnage principal du film.

Justement, les événements décrits dans le film sont réellement arrivés. Quand on regarde bien, il s’agit vraiment de choses horribles avec une escalade de la violence. Mais en même temps, vous parvenez, sans l’édulcorer, à traiter ce sujet avec humour, en faisant ressortir l’absurdité de la situation. Est-ce que vous pensez que l’humour est nécessaire pour faire passer de telles situations ?
Aussi, hier, vous avez expliqué qu’il existait 2 versions de l’histoire, toutes 2 écrites par le second fils (qui est le personnage principal du film). L’une plutôt sérieuse et factuelle, et la seconde sous l’influence des drogues. Votre film se base-t-il uniquement sur la première version ? Ou l’humour qui l’irrigue vient-il justement de cette seconde version ? A-t-elle influencé votre film ?

Pour moi, l’humour est absolument indispensable dans le cinéma, et même si je réalisais un autre type de film, j’y mettrais des idées humoristiques car mon but est de réaliser des films de divertissement.
J’ai très peu utilisé la version écrite sous l’influence de drogues, car il y passe surtout son temps à expliquer qu’il se drogue, et cette version s’éloigne beaucoup de la réalité. Les 2 versions ont été coécrites avec un journaliste qui s’appelle Tomohiko SUZUKI. Dans la version drogue, il laisse le tueur parler mais ne le relance pas, alors que dans la version sérieuse, il approfondit vraiment le propos, sans juger outre mesure son co-auteur. Cette objectivité m’a beaucoup plu. C’est, de plus, dans cette version « sérieuse » qu’on trouve finalement le plus d’éléments humoristiques à mon sens : même si le tueur s’y exprime de manière sérieuse, ses propos me semblent très sarcastiques. C’est pourquoi j’ai privilégié cette version, en y ajoutant mes propres idées.

 

Ressusciter le Jitsuroku

Vous avez dit être très cinéphile. Quelles sont vos influences, japonaises comme étrangères ? Avez-vous été influencé par la manière dont les yakuzas ont été dépeints au cinéma par le passé, notamment par Seijun SUZUKI, Kinji FUKASAKU ou plus récemment par Takeshi KITANO ou Takashi MIIKE ?

Le cinéma qui m’a influencé le plus est probablement celui des années 70, plus particulièrement le genre jitsuroku Jitsuroku Boryoku Eiga » ou « films de violence véridique ») qui abordait de véritables histoires de yakuza, violentes et réalistes. Ce sont des films souvent tirés de faits divers dont les représentants emblématiques sont Kinji FUKASAKU, Junya SATO ou Sadao NAKASHIMA. Ça a été une sorte de mode et il y a eu énormément de productions de ce type. Au début, tous les personnages mourraient systématiquement à la fin des films, mais petit à petit, le genre a évolué et on a commencé à avoir des personnages qui survivaient à ce déluge de violence. En regardant cette évolution du genre, j’ai beaucoup réfléchi sur la représentation de la violence, sur la mort ou l’immortalité. Beaucoup de films ont été produits, mais le genre s’est finalement tari jusqu’au film Hokuriku Dairi senso, (Guerre par procuration à Hokuriku, Kinji FUKASAKU, 1977). J’ai voulu aller un peu plus loin. J’ai pensé que, si l’on voulait continuer ce genre de film, puisque les personnages ne mourraient plus forcément, il alors pourrait s’agir de film de fantômes (rires). Je délirais probablement, mais je me disais que le genre pourrait continuer d’évoluer dans cette direction, et c’est un peu ce que j’ai fait avec Death Row Family ; j’ai fait évoluer le genre vers un film de yakuza avec des fantômes.

Yûki KOBAYASHI, réalisateur de Death Row Family.

Yûki KOBAYASHI – Photo Aude Boyer pour ©journaldujapon.com

 

Vous expliquiez être assez critique en tant que spectateur. Quel regard portez-vous à l’égard du cinéma japonais actuel ? Et quel est votre approche personnelle ? Que voudriez-vous apporter au cinéma japonais actuel, au Jitsuroku par exemple ?

Je pense qu’il y a de plus en plus de films japonais intéressants. Si je critiquais des films, il s’agissait surtout de ceux que je voyais plus jeune ou étant enfant. Par exemple Seikai no chushin de ai wo sakebo (Crying Out Love in the Center of the World, Isao YUKISADA, gros succès en 2004). Ce film m’a effrayé ! Je ne suis pas contre les histoires d’amour au cinéma, mais c’était tellement faux que ça m’a vraiment énervé ! Et sinon, beaucoup de films violents ont été réalisés, mais c’était simplement de l’hyperviolence ou de la cruauté gratuite, sans aucune idée nouvelle ni sens de l’humour. Ils étaient juste agressifs, sans donner aucun plaisir au spectateur, ce qui me contrariait beaucoup. Moi, j’apprécie la violence dans les films si elle est motivée par une rage envers quelque chose.

En ce qui concerne le Jitsuroku, c’est un genre qui implique des films contemporains basés sur des faits réels et même s’ils mettent en scène une violence qu’on ne rencontre généralement pas dans la vie quotidienne, ils peuvent très bien refléter notre propre vie et la violence que l’on rencontre à l’école ou dans l’entreprise. Kinji FUKASAKU a très bien réussi à traduire ce lien entre ce monde de violence cinématographique et le monde dans lequel vivent les spectateurs. Combat sans code d’honneur en est un grand exemple et les spectateurs peuvent parfaitement s’identifier aux personnages car ils connaissent eux-même de tels rapports de force avec leur patron au sein de leur entreprise. Finalement, le monde des yakuza qui leur est étranger peut se révéler plus proche de leur univers qu’il le semblait de prime abord. Ça peut même apporter de l’espoir au public. Et si des films violents peuvent apporter de l’espoir, pour moi, c’est une réussite ! Ça montre qu’ils fonctionnent en tant que films de divertissement.

Pour finir, quels sont vos projets ?

Je suis actuellement sur 2 projets. Le premier toujours avec la Nikkatsu et que je vais réaliser bientôt ; le second est en cours de montage. Il s’agit du film dont je vous parlais tout à l’heure, sur des furyo habitant dans des HLM. Il est produit par un autre studio. J’ai aussi reçu plusieurs propositions pour réaliser des films sur des criminels ou des tueurs que j’espère réaliser en tant que films de divertissement et j’espère massacrer tous les spectateurs qui viendront voir ses films (rires) !

Et nous espérons bien les voir en France !

 

Nous tenons à remercier toute l’équipe de l’Etrange Festival et notamment Estelle LACAUD ainsi que l’interprète de M. KOBAYASHI sans qui cette interview n’aurait pas été possible.

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