Shinzô ABE : l’assassinat d’un ex-premier ministre et son empreinte

Hier matin vers 11H30, heure locale dans la ville de Nara, l’ancien premier ministre japonais Shinzô ABE a été violemment agressé par arme à feu. Il a rapidement été pris en charge après cette attaque mais a finalement succombé à ses blessures. Il avait 67 ans.

Abe shinzo

Shinzô Abe (Wikimedia Commons)

Les faits

C’est lors d’un discours en vue des élections sénatoriales de ce dimanche que le drame a eu lieu. L’agresseur, un homme de 41 ans, a utilisé un fusil pour s’en prendre à cette figure politique en lui tirant à deux reprises dans le dos. L’assaillant a été rapidement appréhendé. Il semblerait qu’il n’ait pas cherché à fuir. Pendant ce temps, Shinzô ABE à terre, recevait les premiers soins d’urgence. Il a ensuite été transporté en ambulance puis par hélicoptère médical jusqu’à l’hôpital de Kashihara, à proximité de la ville de Nara.

Les médecins ont tenté de le réanimer, malheureusement sans succès. Selon l’établissement, la mort a eu lieu vers 17h03, toujours heure locale. La blessure avait atteint gravement le cœur et une partie du cou, ce qui aurait entraîné une perte de sang trop importante pour qu’on puisse le sauver. Rappelons également qu’au Japon, les meurtres par armes à feu sont rares. En 2017 et selon l’agence nationale de la police, seulement 22 crimes liés à une arme à feu avaient été enregistrés.

Le nom de l’agresseur et la photo ont été rendus public dans la presse japonaise, mais nous éviterons de les évoquer ici. Pour le moment, le mobile ne serait pas dû à des raisons de divergences politiques selon des propos rapportés par la NHK. Néanmoins, le suspect a fait part pour le moment de son hostilité vis-à-vis des mesures prises par l’ancien premier ministre durant son mandat. Ces propos ont été écrits dans l’article relatif à la mort de Shinzô ABE sur le site de la NHK. Il convient de les prendre avec précaution car l’incident est récent et les investigations se poursuivent encore. Il a également été dit qu’il aurait cru que l’ancien premier ministre était membre d’une secte contre laquelle il gardait une rancœur.

La perquisition de la maison du suspect a pris du retard en raison d’explosifs présents à l’intérieur de son domicile. Une équipe spécialisée a donc dû être dépêchée sur place. Le suspect aurait été un ancien membre des forces maritimes d’auto-défense japonaises et il aurait déclaré avoir déjà fabriqué des objets explosifs dans le passé. Des armes et des bombes artisanales ont en effet été retrouvées.

Le premier ministre actuel japonais Fumio KISHIDA s’est exprimé à ce sujet en disant qu’il avait prié pour qu’il s’en sorte mais en vain. Il a également précisé qu’il ne trouvait pas les mots pour exprimer sa peine. « Un acte barbare, en pleine campagne électorale qui est la base de la démocratie » rapporte Le Monde. Le reste de la classe politique japonaise dénonce unanimement cet assassinat.

Fumio Kishida

Fumio Kishida en 2017 (Wikimedia Commons)

Réactions politiques dans le monde

Partout dans le monde, les dirigeants et les personnalités politiques se succèdent pour réagir à ce drame. Le président Macron a publié trois tweets. Le troisième répète le contenu de son deuxième message, mais écrit cette fois en langue japonaise. Notre président se dit choqué puis présente ses condoléances.

Le secrétaire d’État américain Antony BLINKEN a pour sa part exprimé sa préoccupation et sa tristesse face à cette attaque. Le président coréen Yoon Suk YEOL a également envoyé ses condoléances à l’ancien premier ministre ainsi qu’à ses proches avant de condamner ce crime qui va à l’encontre du principe démocratique.

Sans tous les énumérer, des représentants de l’Angleterre, de l’Italie, de la Russie, de l’Inde, de la Chine ou encore de la Thaïlande ont aussi réagi.

Mais cet événement a également amené certaines confusions. En effet, la chaîne de télévision grecque Ant1News a confondu l’agresseur avec le célèbre créateur de jeux vidéo Hideo KOJIMA. On pouvait le voir à côté d’images représentant Che Guevara, une icône communiste. Cette erreur a ensuite été relayée sur les réseaux sociaux et notamment Twitter. En France, l’ex-candidat aux législatives 2022 du parti Reconquête Damien RIEU avait retweeté une personne relayant cette fausse information. Il a depuis supprimé le tweet en question avant de s’excuser pour ne pas avoir pris la peine de vérifier l’information et de repartager l’article de Libération.

Le premier tweet est maintenant indisponible sauf par des captures d’écran prises par d’autres utilisateurs. Vous pouvez aussi le retrouver sur l’article de Libération à ce sujet. (Lien disponible en bas de cet article)

Brève histoire de Shinzô ABE

Mais qui était Shinzô ABE ? Né en 1954, il était devenu depuis plusieurs décennies une figure populaire du parti conservateur, le Parti Libéral Démocrate (PLD). Il a été le premier ministre du Japon de 2006 à 2007 puis de 2012 à 2020. La durée pendant laquelle il s’est maintenu à ce poste fait de lui le premier ministre japonais à être resté le plus longtemps au pouvoir depuis l’après-guerre, devant Eisaku SATO. C’est à partir de 2012 que Abe lance une grande politique de relance économique baptisée « Abenomics« , en référence aux « Reaganomics » mises en place par le président Reagan aux États-Unis dans les années 80. Son but était de relancer l’économie japonaise en luttant contre la déflation et en limitant les dépenses publiques. Nous vous avions proposé un article à but pédagogique sur ce sujet, il y a quelques années :

Les Abenomics : quand Shinzo Abe tente de relancer l’économie japonaise

Conservateur convaincu sur les questions sociétales et néo-libéral sur le plan économique, ses croyances idéologiques ont ainsi posé de nombreux problèmes au Japon ou à l’étranger. Il était par exemple favorable à la révision de l’article 9 de la constitution japonaise. Celle-ci énonce que le Japon « renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force comme règlement des conflits internationaux. ». La constitution empêche encore aujourd’hui le Japon d’avoir une armée. Mais elle a été contournée au fil du temps avec, entre autres, la création des Forces d’Autodéfense Japonaise (FAD). Si cette dernière ne peut pas engager de conflits, elle participe à des actions militaires à l’étranger comme en 2003 avec la guerre en Irak. Cependant, les membres de cette organisation n’ont jamais pris part à des interventions armées et n’ont pour le moment jamais connu de mort dans l’exercice de leur fonction.

Face à ce flou juridique que posent les forces d’autodéfense, Shinzô ABE voulait modifier cet article 9. Mais devant une opinion publique défavorable à ce changement, il n’a pas pu aller au bout de son projet. Des lois ont néanmoins été ratifiées pour élargir le champ d’action de ces forces. Et ainsi, il a pu réinterpréter l’article 9 sans pour autant être anticonstitutionnel.

De plus, il se rendait régulièrement au sanctuaire Yasukuni. Ce lieu symbolique a été érigé en hommage aux victimes japonaises pendant des conflits. Mais depuis 1978, le nom de 14 criminels de guerre jugés lors des procès de Tokyo pour crimes contre l’humanité ou crimes de guerre avait été rajoutés dont le plus connu est Hideki TÔJÔ. Pour les anciens voisins du Japon comme la Chine ou la Corée, la visite annuelle des premiers ministres japonais à ce sanctuaire est perçue comme un déni de la souffrance subie par les populations locales et des crimes commis par les troupes japonaises.

Yasukuni-jinja, sanctuaire de la controverse et symbole du révisionnisme nippon

Il fut aussi la cible de nombreuses polémiques, notamment celle concernant des conflits d’intérêts. Il a progressivement été affaibli politiquement par des scandales à répétitions. En 2020, Abe quitte le poste de premier ministre pour des raisons de santé.

Abe et Trump

Shinzô Abe était très ami avec l’ancien président des États-Unis Donald Trump (WIkimedia Commons)

En dépit de ce qui a pu être dit plus haut, l’ancien premier ministre conserva tout au long de son mandat une popularité assez importante. Ses mesures et aussi sa longévité ont été appréciées par une partie des Japonais qui profitaient ainsi d’une stabilité au niveau du gouvernement avec à sa tête Shinzô ABE. En effet, le poste de premier ministre a rarement été occupé longuement, ce qui signifiait des changements réguliers dans les politiques mises en place. En outre, il a favorisé et aidé les campagnes japonaises qui sont en pertes de vitesse par rapport au développement urbain dans les grandes villes.

À l’international, il a su tisser des liens politiques et commerciaux importants avec de nombreux pays dans le monde. Shinzô ABE a travaillé à promouvoir des traités de libre-échange avec différents pays du Pacifique. Très conscient du pouvoir du Soft Power japonais, il est par exemple apparu déguisé en Mario en 2016 lors des JO de Rio pour annoncer les JO de Tokyo en 2020.

Soft Power : que se cache-t-il derrière la « notoriété culturelle » ?

Soft Power – épisode 2 : Instrumentalisation de la culture et nationalisme

Shinzô ABE a notamment travaillé à l’idée du FOIP (Free and Open Indo-pacific) et a également tenté d’améliorer ses relations avec la Chine ou encore la Russie sur des questions sensibles comme les Îles Kouriles par exemple [lire notre article sur les îles de la discorde], avec un bilan plutôt mitigé. Face aux menaces de la Corée du Nord, il s’est toujours montré ferme et a défendu les principes démocratiques. Néanmoins, il n’a jamais voulu s’excuser face aux victimes coréennes des crimes commis par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale.

Bien qu’étant une figure politique contestée, son influence dans la politique japonaise n’était pas négligeable, et sa longévité au poste de premier ministre en dit long sur son importance sur la scène nationale et internationale. Sa disparition brutale résonne comme un coup de tonnerre au Japon.

 

Sources :

https://www3.nhk.or.jp/news/html/20220708/k10013707601000.html

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/08/deces-de-shinzo-abe-le-premier-ministre-japonais-denonce-un-acte-barbare_6133962_3210.html

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-ancien-premier-ministre-japonais-shinzo-abe-blesse-par-balle-20220708

https://www.liberation.fr/checknews/damien-rieu-a-t-il-publie-des-photos-dun-createur-de-jeux-videos-dextreme-gauche-en-laccusant-detre-lassassin-de-shinzo-abe-20220708_GEZPHJIDXNHAFIY3RXWY5RYBII/ 

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