Cool Japan : la stratégie d’influence du Japon

L’intérêt mondial pour la culture japonaise n’a cessé de croître depuis les années 90 et on ne compte plus les passionnés qui ne jurent que par les mangas, les animés, la J-Pop, le Kawaii, qui raffolent de sushi, dégustent du saké et ne rêvent que de voyage au Japon. Derrière cet engouement spectaculaire se cache une stratégie bien rodée : le Cool Japan. Un puissant outil de diffusion de la culture nippone qui a permis au Japon d’atteindre des sommets de popularité. JDJ vous propose de creuser un peu pour comprendre les objectifs et les limites de cette stratégie d’influence.

Logo Cool Japan

Logo Cool Japan

Qu’est-ce que le Cool Japan ?

Au cours des années 80, le Cool Japan (クールジャパン) n’est rien d’autre que la désignation de ce qui est perçu comme cool au Japon, par les étrangers. Le pays est en plein boom économique et en cette période de bulle économique (バブル景気 baburu keiki), tous les regards se tournent sur le Japon. Non seulement pour sa croissance fleurissante, mais également grâce aux divers objets de divertissement qui se diffusent à cette période : les consoles de Nintendo et Sega, les dessins animés japonais qui envahissent les écrans, le phénomène Hello Kitty, les premiers baladeurs CD de Sony… La plupart des jeunes de cette époque ont eu un contact avec le Japon, parfois sans même le savoir, et le pays inonde le monde de produits. Il commence à intriguer mais pour le moment, il ne s’agit pas d’une stratégie globale.

anpanman cool japan

Anpanman (février 2018) – Photo de Hamish Duncan (Unsplash)

Mais à l’orée des années 90, la bulle économique japonaise explose, ce qui provoque une crise financière qui s’étendra sur plus de 10 ans. Le pays ne peut plus miser uniquement sur l’attrait qu’il dégage via certains secteurs ni sur les seuls consommateurs japonais pour redorer ses finances : il doit voir plus large. En 2002, le journaliste Douglas McGray publie l’article Japan’s Gross National Cool dans le journal Foreign Policy et il analyse le succès de la diffusion de certaines formes de cultures nippones dans le monde, évoquant pour la première fois cette idée de la coolitude japonaise comme forme d’influence. En citant tour à tour Takeshi KITANO (cinéma), Hayao MIYAZAKI (animation), Namie AMURO (J-Pop), Kenzo TAKADA (mode), les expositions sur la pop culture japonaise ou l’influence du Japon dans le cinéma (prenant l’exemple de Matrix, 1999) et en analysant le succès sans précédent de Hello Kitty ou de Pokémon, McGray constate que le Japon n’a jamais été aussi attrayant pour les étrangers qu’il ne l’est à cette période. Paradoxalement, la crise post bulle économique a forcé les Japonais à être plus créatifs et cela a brisé certains codes, gommant un peu l’image d’un pays très rigide aux normes sociales et à la hiérarchie tyrannique. Le Japon renvoyait l’image d’un pays cool et pour le gouvernement, l’occasion d’utiliser cette arme nouvelle pour rebooster l’économie était trop belle.

C’est ainsi que se diffuse cette idée d’organiser l’ensemble des secteurs de la culture japonaise, d’analyser ce qui plaît aux étrangers et de le diffuser en masse à travers le monde. Le gouvernement, épaulé par des acteurs du secteur privé, va adopter le concept de Cool Japan en 2010 et créer en novembre 2013 la Cool Japan Fund Inc, le fond de support destiné à la promotion international du Japon. Le budget alloué à ce projet est colossal – 50 à 60 milliards de yen sur 20 ans, soit 400 millions d’euros environ – et la ligne de mire n’est autre que Tokyo 2020 et les Jeux Olympiques qui serviront de démonstration finale de la coolitude japonaise.

C’est le début de la diplomatie de la pop culture, comme est désigné ce processus dans le pays, et un exemple du Soft Power à la japonaise.

Les objectifs visés par la stratégie Cool Japan et les supports utilisés

Le Cool Japan a deux objectifs principaux : booster l’économie interne en vendant les produits japonais à travers le monde et attirer un nombre croissant de touristes dans le pays. Pour les atteindre, il faut commencer par comprendre ce qui plaît aux étrangers et ce qui est perçu par eux comme cool, car cela diffère de l’idée que se font les Japonais des attraits de leur propre pays. La Cool Japan Fund Inc va s’appuyer sur des études nationales et internationales pour parvenir à dégager plusieurs domaines d’importance majeure pour supporter leur stratégie :

  • Les animés et le manga, portés notamment par les succès de Dragon Ball, Saint Seiya, Naruto ou encore One Piece à l’international
  • Le jeu vidéo où le marché est dominé par Sony et Nintendo
  • La J-Pop et ses idols, qui proposent une alternative musicale dans un secteur qui peine à innover
  • Le gourmet, en profitant de la mode du sushi et de l’intérêt croissant des étrangers pour le saké ou le thé
  • La mode, un domaine où le Japon a souvent été avant-gardiste
  • La culture traditionnelle, avec ses geisha, le bonsaï, ses jardins japonais, ses festivals, sa poésie, l’image du samouraï ou ses concepts uniques comme le Wabi Sabi

L’idée est donc de récréer l’image d’un Japon, réel ou fantasmé, capable de séduire les étrangers.

anime célèbres influence japon

Mur d’animés (février 2021) – Photo de Dex Ezekiel (Unsplash)

Le public visé ne se compose pas uniquement de personnes ayant déjà un attrait pour le pays, car ceux qui ne connaissent rien au Japon doivent pouvoir trouver une ou plusieurs facettes éveillant leur curiosité et les incitant à passer le cap de la découverte, via des achats ou un voyage culturel.

Les responsables de la stratégie Cool Japan, issus de secteurs publics et privés, se fixent plusieurs objectifs : une collaboration renforcée entre les différents acteurs de domaines concernés, des aides financières pour faciliter la promotion du pays, le recours à des personnalités influentes hors du pays ou une centralisation des informations sur le Japon via des plateformes créées pour l’occasion. Concrètement, cela se traduit par certaines initiatives comme :

  • Le recensement des acteurs régionaux – producteurs ou artisans – pour leur donner plus de visibilité avec l’organisation d’événements dédiés à leur pratique, à l‘étranger
  • L’invitation d’influenceurs ou d’acheteurs étrangers, conviés en tant qu’ambassadeurs à visiter certaines régions du pays pour ensuite les promouvoir
  • Le financement d’écoles de création de contenus animés ou de manga en Asie et en Europe, avec l’exemple de la Kadokawa Contents Academy
  • Le programme TOM (pour Tokyo Otaku Mode) pour accompagner les amateurs étrangers dans leur découverte, via les réseaux sociaux et une boutique officielle en ligne
  • Une présence accrue lors d’événements internationaux ayant trait au Japon, comme Japan Expo à Paris
  • L’ouverture de boutiques spécialisées en artisanat japonais (comme Isetan) dans les pays porteurs
  • L’organisation de tournées internationales pour les artistes J-pop
  • La facilité d’obtention de visa de travail pour les étrangers souhaitant travailler dans les domaines soutenus par le Cool Japan
  • La création de vidéos en langues diverses pour promouvoir le tourisme, avec les campagnes Yokoso Japan, Enjoy my Japan ou Play Japan lancées par l’office national du tourisme au Japon (JNTO)

Les ambitions sont grandes et les idées ne manquent pas pour soutenir l’initiative Cool Japan. Mais est-ce suffisant pour en assurer le succès ?

L’impact mondial et la perception du Japon à l’étranger

Le Japon a bel et bien cette image de pays cool qui lui colle à la peau. Il suffit de demander à ses amateurs ce qu’il évoque pour eux pour s’en rendre compte : les folles tendances vestimentaires d’Harajuku, le quartier Otaku d’Akihabara, sa délicieuse gastronomie, ses salles de jeux, ses paysages sublimes… La liste est longue et les intérêts diffèrent selon les âges, mais tous semblent confirmer que la stratégie Cool Japan a porté ses fruits.

Jeunes dans une rue au japon

Jeunes dans une rue (juin 2019) – Photo de Matthew Smith (Unsplash)

Le plus gros succès de cette démarche est évidemment celui du tourisme, avec l’accueil de près de 32 millions de visiteurs en 2019, qui dépasse largement les prévisions du gouvernement qui visait 20 millions de touristes pour 2020. On note également la grande diffusion de la gastronomie japonaise à travers le globe, avec la présence de plus de 150 000 restaurants japonais – tenus par des Japonais ou des étrangers – en 2019 alors qu’on en dénombrait seulement 21 000 en 2006. Une marque d’intérêt évidente pour les sushis, ramen et autres yakitori qui sont désormais ancrés dans le quotidien de bon nombre d’entre nous. L’animation japonaise se porte à merveille à l’étranger et génère des revenus colossaux via des plateformes comme Netflix ou Crunchyroll, les ventes de mangas battent des records et la cosmétique japonaise est la 3e plus puissante de l’industrie mondiale avec des marques comme Shiseido, Biore ou Sofina du groupe Kao. Enfin, la culture Kawaii avec Sanrio et ses personnages pour emblème, ne semble pas passer de mode.

Cette diffusion à grande échelle de ces différents aspects de la culture nippone se traduit également par un intérêt croissant pour les études japonaises, avec de plus en plus d’universités proposant des études de japonais et une augmentation du nombre d’inscrits dans les facultés.

Toutefois, le succès de la stratégie Cool Japan a été mis à mal par plusieurs échecs. Le secteur de la musique porté par la J-Pop n’est pas parvenu à s’imposer durablement et s’est fait écraser par la K-Pop coréenne, quasiment aucune production cinématographique japonaise n’est parvenue à s’imposer à l’étranger et aucun acteur du pays n’est devenu une icône internationale. Pire, l’image cool du Japon a été ternie récemment par sa gestion chaotique des jeux olympiques et son entêtement à maintenir l’événement malgré les protestations de sa population, dans une période certes difficile et instable, mais durant laquelle le pays a choisi de se refermer sur lui-même, repoussant encore et toujours la réouverture de ses frontières. Des décisions qui ont fait ressurgir la rigidité légendaire et la bureaucratie d’un autre âge, que le pays était presque parvenu à faire oublier !

Gundam a Tokyo, 2019

Gundam à Tokyo (octobre 2019) – Photo de Bruce Tang (Unsplash)

Le Cool Japan au Japon : critiques et polémiques

Les Japonais sont plutôt contents quand on s’intéresse à leur culture et parfois surpris quand un étranger possède des références culturelles que les habitants du pays ne possèdent pas forcément. C’est l’un des points positifs du Cool Japan, qui a incité de nombreux Gaijin à approfondir leur connaissance du pays après en avoir effleuré la surface via un manga, un roman ou une série. Cependant, la stratégie Cool Japan suscite des critiques et des polémiques.

En premier lieu, des acteurs du monde culturel dénoncent le manque de transparence des investissements gouvernementaux dans cette stratégie. Le budget annoncé est conséquent mais il ne semble pas y avoir de véritable soutien pour des projets concrets. De fait, certains se demandent tout simplement où disparaît cet argent et parlent de gaspillage de fonds publics. À cela s’ajoute des rumeurs de conflits d’intérêts dans l’attribution des projets, qui font évidemment grincer des dents.

Fille et Robot la coolitude japonaise

Kuromon Ichiba Market, Ōsaka-shi, Japon (octobre 2017) – Photo de Andy Kelly (Unsplash)

Le second problème majeur vient de l’utilisation du Cool Japan pour façonner une image lissée du pays – cool, fun, accueillant – qui occulte une grande part de la réalité. En Asie du sud-est, cette tendance à vouloir façonner l’histoire et la culture japonaise pour adoucir la perception négative que s’en font certains de ses voisins (notamment la Chine et la Corée du Sud, à cause du passé tumultueux qu’ils ont en commun) déplaît et fait craindre que sous cette stratégie se cache un outil de propagande utilisé à des fins politiques et nationalistes. Moins palpable en Occident, le souci a tout de même faussé la véritable image du Japon, assimilé à un « paradis terrestre » par certains de ceux qui ne s’y intéressent qu’à travers le prisme du Cool Japan.

Enfin, les problèmes qu’a entraîné le tourisme de masse sont également sujets à discussions et tendent à prouver que les effets de la campagne n’ont peut-être pas été suffisamment anticipés.

Le Cool Japan face à la vague coréenne

Près de 10 ans après son lancement officiel, la stratégie du Cool Japan se heurte à un obstacle majeur : la vague coréenne connue sous le terme de Hallyu. À la suite du boom économique de la Corée du Sud dans les années 90, le pays a profité de la popularité croissante de la K-Pop et des K-drama pour étendre son influence dans le monde… et battre le Japon à son propre jeu. Depuis 2010, le cinéma coréen, les séries et la musique Pop ont dépassé, en termes de popularité et de gains, leur équivalent japonais. Si on les interroge sur la culture asiatique, les plus jeunes citeront plus facilement Parasites (BONG Joon Ho, 2019), BTS, Psy, LEE Min-ho, Squid Game ou encore Samsung, que les films, séries, marques, chanteurs ou acteurs nippons de la dernière décennie. En effet, la Corée semble avoir trouvé la formule magique que le Japon s’évertue encore à chercher, en appliquant un principe simple : l’adaptation.

Kawaii Models, J-Pop festival Harajuku

Kawaii Models, J-Pop festival Harajuku (juillet 2014) – Photo de Dennis Amith (Flickr) (CC BY-NC 2.0)

Là où les Japonais ont tenté d’exporter la J-Pop sans la modifier, les voisins coréens ont pris la peine de proposer des chansons en anglais ou en chinois selon le marché visé. La K-Pop est diffusée à grande échelle via les réseaux sociaux les plus populaires (sur YouTube par exemple, où le Gangnam Style de Psy deviendra la première vidéo à dépasser le milliard de vues, en 2012) quand les producteurs japonais sont dans le contrôle et la censure et n’ont semblent-ils pas pris la mesure de ces nouvelles formes de diffusion. Toujours dans le domaine musical, on a souvent reproché à la J-Pop son côté Kawaiï / enfantin, 100 % japonais, associé à une hypersexualisation dérangeante. Les coréens ont préféré miser sur le côté adulte sexy ou l’androgynie et évitent ainsi bien des polémiques. Enfin, le gouvernement a soutenu l’industrie cinématographique en lui permettant d’avoir les moyens de ses ambitions, ce que les instigateurs de la Cool Japan ont annoncé vouloir faire sans que cela ne se traduise par des actions concrètes.

Le succès est donc au rendez-vous pour la stratégie cool de la Corée et les bénéfices sur la vente de biens coréens à l’étranger et sur le tourisme sont palpables sur l’économie du pays. Le Japon, dépassé, fait face à ses errances et à ses ratés dans le domaine et pourrait vouloir corriger le tir avec pour prochaine échéance importante l’exposition universelle qui se tiendra à Osaka en 2025. D’ici là, il devra proposer une vision moins ethnocentrée de ses domaines artistiques et s’inspirer de ce qui fonctionne pour la Corée, pour espérer réaffirmer sa coolitude à la face du monde.

Notons que si cette opposition entre les deux pays les plus tendances de l’Asie de l’est sur le terrain de la culture est vivace, la popularité de la Corée au Japon pourrait amener à des rapprochements culturels bienvenus et une ouverture d’esprit accrue chez les jeunes générations, ce qui pourrait faciliter la vie des Zainichi encore trop souvent discriminés au Japon. Un bon point, qui rappelle que c’est bien en se plongeant dans la culture d’un pays qu’on apprend à l’apprécier à sa juste valeur.

Derrière la stratégie Cool Japan se cache une immense machine de diffusion culturelle, imparfaite, peut-être trop ambitieuse, et l’image qu’elle projette du Japon n’est certainement pas la véritable image du pays perçu par ses habitants. C’est toutefois un outil puissant, dans lequel puiser pour approfondir nos connaissances. Si on écarte l’aspect purement marketing de la démarche, le Cool Japan a permis à bon nombre d’entre nous de s’intéresser au Japon et d’en découvrir de nouvelles facettes. Rien que pour cela, on peut saluer l’initiative !

Sources :

Mickael Lesage

J’ai découvert le Japon par le biais d’un tome de Dragon Ball il y a fort longtemps et depuis, ce pays n’a jamais quitté mon cœur…ni mon estomac ! Aussi changeant qu’un Tanuki, je m’intéresse au passé, au présent et au futur du Japon et j’essaie, à travers mes articles, de distiller un peu de cette culture admirable.

4 réponses

  1. Benjamin dit :

    Encore un excellent article très complet, merci beaucoup de prendre le temps de parler de ces sujets

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