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Kinotayo 2023 : retour non exhaustif sur une édition chargée

Cela fait maintenant quatre ans, depuis la 14ème édition en 2019, que Journal du Japon n’a pas proposé de véritable bilan du festival du cinéma japonais incontournable en France : Kinotayo. Chose réparée cette année avec un retour, même si incomplet, sur cette édition chargée. Bien que nous n’ayons pas été convaincu par la totalité des films en compétition, le festival brille tout de même par la variété des styles cinématographiques qu’il propose, notamment dans les projections hors compétition dont certaines étaient à ne pas à manquer. Retour non exhaustif sur les films auxquels nous avons pu assister !

Kinotayo

Les 3 gagnants de la compétition : du contemplatif au douteux

Prix du soleil d’or : la laque de A à Z avec Tsugaru Lacquer Girl

Le soleil d’or, prix attribué par les votes du public tout au long du festival, est cette année attribué à Tsugaru Lacquer Girl, film réalisé par Keiko TSURUOKA basé sur le roman Japan Dignity de Miyuki TAKAMORI. Tsugaru Lacquer Girl se déroule dans Hirosaki, une ville moyenne du département d’Aomori au nord-est du Japon. On y suit le quotidien de Miyako Aoki, jeune femme d’une vingtaine d’années et fille cadette d’une famille d’artisans laqueurs. Alors que son frère aîné n’a pas l’air de vouloir prendre la relève familiale, Miyako de son côté se prend peu à peu de passion pour la technique de la laque tsugaru. Une décision qui ne fera pas l’unanimité dans sa famille.

tsugaru lacquer girl

Tsugaru Lacquer Girl est un très beau film d’initiation qui, malgré son point de départ et son développement un peu trop classique, parvient à rendre son personnage principal et son environnement touchant. Autour de Miyako se développe toute une galerie de personnages, bien moins développés que dans le roman selon les aveux de la réalisatrice lors de la séance question réponse d’après film, mais autour desquels tournent quelques questionnements contemporains : des problématiques LGBT au Japon, aux relations avec un parent toxique, sans oublier l’incontournable passage sur la vieillesse avec le personnage du grand-père. Rien de bien nouveau, mais chacun de ses points est abordé avec finesse et empathie par la réalisatrice. Le film se consacre cependant en grande partie à montrer les techniques des artisans laqueurs dans de longues séquences à l’esthétique irréprochable sans dialogues mais rythmées par le bruit des instruments grattant, polissant ou recouvrant de peinture le bois : de quoi faire plaisir aux amateurs de vidéos ASMR.

La projection de Tsugaru Lacquer Girl était accompagnée d’une séance “Kinotayo X”, débat/table ronde rassemblant des spécialistes de la laque (Nicolas Pinon, Valérie Maltaverne, Lucile Chenais, Hiroaki OGASAWARA). Une nouveauté à laquelle nous n’avons pas pu participer mais qui est une excellente initiative pour mieux faire connaître les enjeux autour de l’artisanat de la laque entre la France et le Japon.

Prix du jury : Father of the Milky Way road, mélodrame étrange d’un “père de”.

father of the milky way road

Kenji MIYAZAWA est né en 1986 dans le département d’Iwate au nord-est du Japon, et est décédé de la tuberculose à seulement 37 ans. Une vie courte mais qui, par ses contes et poèmes, a marqué durablement l’imaginaire littéraire japonais. Même en France, les débutants en langue japonaise ont difficilement pu passer à côté de l’un de ses textes mettant en scène chasseurs, animaux ou bien écoliers dans des contes courts mais saisissant d’inventivité et d’images singulières. Sans l’imaginaire de Kenji MIYAZAWA, l’animation japonaise se serait également trouvé dépourvue de chef d’œuvre comme Galaxy Express 999, inspiré du conte Train de nuit dans la voie lactée, Gauche le violoncelliste de Isao TAKAHATA directement adapté d’une nouvelle du même nom, et bien d’autres que nous n’avons pas la place de citer. Mais Father of the Milky Way Road, du moins en principe, ne parle pas directement du créateur de tout cet imaginaire, mais du père de ce dernier : Masajiro MIYAZAWA, gérant d’une boutique de prêt sur gage qui se trouve bien embêté d’avoir comme fils héritier un garçon à la personnalité aussi étrange.

father of the milky way road

Un synopsis qui promet quelque chose d’intéressant : les auteurs de roman ne grandissent en effet pas sans éducation et environnement propice à la création de leur chef-d’œuvre. Mais cette promesse se trouve vite abandonnée par le film qui va plutôt choisir de montrer les étapes importantes de la vie de MIYAZAWA fils par le point de vue de MIYAZAWA père, ce dernier étant alors rapidement éclipsé à la fois par les extravagances du personnage de Kenji MIYAZAWA et son acteur Masaki SUDA, qui n’est plus à présenter. À cette première déception s’ajoute une photographie étrange et des fonds verts parfois grossiers qui peine à rendre crédible la reconstitution de l’époque Meiji et Taishô. Le côté mélodramatique du long-métrage, avec l’inévitable décès de Kenji MIYAZAWA accompagné d’autres moments tragiques de la vie de l’auteur, n’a pas joué en la faveur du film de notre côté, mais a su toucher de nombreux spectateurs dans la salle et, visiblement, dans le jury de cette édition.

En bref, un film à voir pour les amateurs de Kenji MIYAZAWA curieux d’en apprendre plus sur sa vie, mais qui ne nous a pas grandement convaincu autrement.

Grand prix : Tea Friends intriguant

Le Grand prix attribué par le jury a été remporté par Tea Friends, auquel nous n’avons malheureusement pas pu assister. Derrière ce nom qui peut laisser penser à un récit portant sur la cérémonie du thé, se cache en réalité un film abordant le sujet de la prostitution chez les séniors. Un sujet pour le moins rare dans le cinéma japonais (et mondial !) mais d’actualité au Japon, dont le vieillissement général de la population questionne de nombreux créateurs.

Le reste de la compétition : voyages au cœur des problèmes sociaux

Passons maintenant aux autres films de la compétition auxquels nous avons assistés. Cette année, un accent particulier semble avoir été mis sur l’actualité des sujets des films. En effet, parmi les trois long-métrages en compétition que nous avons pu voir, tous font référence, de manière plus ou moins appuyée, à des faits réels. Commençons en douceur dans la vraisemblance mais pas dans l’horreur avec le premier : Toxic Daughter.

Toxic Daughter : l’horreur en famille

Toxic Daughter, selon les propos du réalisateur Eisuke NAITO, s’inspire d’un fait divers cauchemardesque : une mère est rentrée en urgence chez elle un jour après avoir reçu un appel étrange de sa fille, pour trouver cette dernière sur le point de se faire tuer par une fille du même âge qui lui était inconnue. Plus qu’une inspiration, Toxic Daughter reprend presque à la lettre cet évènement et construit son intrigue autour. Ainsi, Hagino, jeune femme fraichement mariée, trouve sa belle fille, Moeka, menacée par les coups de couteaux de la mystérieuse Chi-chan. La famille de Hagino se trouve alors tourmentée par les différents assauts de cette entité mystérieuse, révélant petit à petit les secrets inavouables de ce foyer en l’apparence pourtant idéal.

Toxic daughter shuzo oshimi
le personnage de Chi-chan dessiné par Shûzô OSHIMI

Toxic Daughter est coincé entre deux genres qui ont du mal à coexister au sein du film. Premièrement celui du drame familial, qui est très bien exécuté, notamment sur les mécanismes du patriarcat et la pression silencieuse qu’exerce le mari sur sa femme et sa fille tout au long du film. Ensuite celui de l’horreur, qui joue de son côté sur les plans invraisemblablement sadiques de Chi-chan. Malheureusement, si ces deux aspects fonctionnent tout à fait indépendamment, ils laissent le spectateur troublé à la fin du film. Doit-on s’attacher aux personnages et à leurs aspirations ou bien attendre avec sadisme le nouveau coup bas de Chi-chan comme on le ferait dans un Vendredi 13 ? En soi, mélanger drame social (et familial) et cinéma d’horreur n’est pas nouveau, et peut-être très bien réalisé comme l’a montré récemment les films de Ari Aster (Midsommar, Hérédité, …) mais la combinaison de ces deux aspects dans Toxic Daughter provoque un malaise que nous avons du mal à penser volontaire.

Il faut aussi soulever la participation du mangaka Shûzô OSHIMI au projet : il signe le character design de la démoniaque Chi-chan et une adaptation en manga à paraître à partir de janvier dans le Young Magazine. Une adaptation à surveiller car la proximité des thèmes du film avec ceux du mangaka (Les fleurs du mal, Les liens du Sang, Happiness, …) peut apporter une nouvelle vision intéressante, et peut-être plus empathique, du personnage de Chi-chan.

The Moon : reconsidérer la normalité

The Moon

Restons dans le cinéma inspiré de faits réels avec The Moon réalisé par Yuya ISHII. Le film narre la vie quotidienne de Yôko DÔJIMA, écrivaine à succès en panne d’inspiration et parent endeuillée d’un enfant de trois ans, alors qu’elle commence un nouveau travail dans un établissement pour personnes en situation de handicap. Ce nouvel environnement, présenté comme un monde totalement à part, au milieu d’une forêt, du monde normal par le long-métrage, déclenche chez la protagoniste et son entourage un grand nombre de questionnements autour de la naissance, la valeur de la vie et la normalité. Le film aboutit sur un écho sans ambiguïté au massacre de Sagamihara de 2016 qui, pour ceux qui connaissent déjà cette affaire (nous préservons les autres lecteurs pour ne pas trop en dévoiler), annonce le caractère sombre du récit et des images.

The Moon est visuellement très réussi, avec de nombreux effets de réalisations entretenant la tension et le récit angoissant du film. On peut lui reprocher quelques longueurs sur sa dernière demi-heure, où l’inévitable doit arriver et ne cesse d’être repoussé, mais ses 2h20 et quelques passent tout de même relativement vite malgré la gravité du ton et des sujets abordés.

Winny : biopic entre innovation et illégalité

Winny fait un pas de plus vers le réel : le film n’est plus inspiré de faits réels, contrairement aux deux précédents, mais est un biopic qui raconte une partie de la vie de Isamu KANEKO, alors professeur à l’université de Tôdai et qui est arrêté par la police pour avoir développé Winny, un logiciel de téléchargement en peer to peer en vogue à l’époque au Japon et dans le monde. La police japonaise tente à cette époque de trouver des coupables et de donner des peines exemplaires pour un nouveau crime émergent avec la popularisation des ordinateurs et d’internet : le piratage et le vol par téléchargement en ligne. Or, peut-on réellement mettre la faute sur le concepteur du logiciel alors que c’est l’usage qu’en font les personnes qui est à blâmer ? Isamu KANEKO, entouré d’une équipe d’avocats pas comme les autres, va devoir se battre pour son innocence, au milieu d’un système judiciaire japonais rude et peu au fait de l’actualité technologique.

Winny

Winny est le premier long-métrage commercial du jeune réalisateur Yusaku MATSUMOTO, qui continue dans la lignée de Noise, long-métrage indépendant portant sur le massacre d’Akihabara de 2008, à mettre en image et en récit des affaires qui ont secoué l’opinion japonaise de l’époque. Le cadre du récit de Winny se sépare en deux temps : les phases de tribunaux, où les avocats de la défense et les procureurs s’affronte pour déterminer le sort de Isamu KANEKO, et des moments plus calmes où Yusaku MATSUMOTO tisse les liens entre le développeur de génie, à la personnalité quelque peu particulière et superbement interprété par Masahiro HIGASHIDE, et son équipe d’avocat. Un film touchant et entraînant qui souffre cependant de quelques soucis techniques de lumière qui donnent un grain étrange à l’image durant les scènes sombres. Le futur de Yusaku MATSUMOTO est à surveiller pour les amateurs de films contemporains et politiques.

Hors-compétition : la lumière en dehors des feux des projecteurs

Cette année, Kinotayo n’a pas été avare en films hors compétition : nous avons eu le droit à de très bonnes surprises concernant les nouveautés, une programmation solide en animation et en documentaire ainsi qu’un focus autour du réalisateur incontournable Yasujirô OZU. Encore une fois, il était compliqué d’assister à toutes les séances, mais voici un rapide échantillon de ce qui nous a marqué lors de cette 17ème édition.

Godzilla Minus One : un terrifiant après guerre

Godzilla minus one

Commençons par la séance à ne pas manquer pour les fans de monstres géants ou de cinéma catastrophe : Godzilla Minus One de Takashi YAMAZAKI. Introduit par l’un des spécialistes français des kaijû, Fabien Mauro (auteur de Kaijû, envahisseurs et apocalypse), cette séance est, au sens propre, exceptionnelle en France étant donné la non programmation du film au cinéma. Cette absence est d’autant plus déplorable que Godzilla Minus One tient toutes les promesses que l’on atteint d’un opus moderne de la saga : grandeur, divertissement et politique. Comme un renvoi aux origines d’après-guerre du monstre (le premier film datant de 1954), le film place son récit encore plus proche de la défaite de l’empire japonais en 1945 : une occasion pour le réalisateur de montrer aussi bien les conditions de vie des japonais durant cette période de pauvreté extrême, que de réfléchir à ce que le Japon et son peuple doivent faire de ce qu’ils héritent, aussi bien technologiquement que idéologiquement, de la guerre.

Takashi YAMAZAKI, réalisateur de nombreux films de guerre (The Great War of Archimedes, Kamikaze le dernier assaut) mais aussi d’animation en 3D (Stand By Me – Doraemon, Dragon Quest – Your Story), signe un Godzilla terrifiant et étonnement immersif : sa première expérience sur la réalisation d’une vidéos de grand huit de la saga du lézard géant en 2021 pour le parc d’attraction de Seibu-en est ici pleinement exploitée dans le film où l’on est souvent plongé directement à la place des protagonistes face à la créature monstrueuse. Le ton un peu (beaucoup) chauvin du long-métrage peut déplaire à un certain public mais Godzilla Minus One reste un blockbuster d’une efficacité et d’une maîtrise rare. Un après Shin Godzilla qui s’annonce pour le moment radieux du côté japonais de Godzilla.

Admiration et hommages

Tokyo Ga

Wim Wenders ouvrait la 17ème édition de Kinotayo avec son film Perfect Days (que nous avons couvert ici) qu’il réalise en témoignage de son admiration pour le réalisateur Yasujirô OZU, figure clef de l’histoire du cinéma japonais qui, à l’occasion du 120ème anniversaire de sa naissance, était au centre d’une partie des films hors compétition. Perfect Days était ainsi accompagné du documentaire Tokyo-Ga réalisé par le même Wim Wenders où il explore Tokyo sur les traces de son idole au début des années 1980. Deux films d’OZU, Printemps Précoce et Les Soeurs Munakata était aussi disponible en version restaurée. Une programmation hommage qui a su ravir les fans du maître.

Un autre hommage a été rendu au musicien Ryûichi SAKAMOTO, avec la projection de Opus, captation d’une performance au piano de l’artiste réalisée avant son tragique décès cette année.

Documentaires en tout genre

les sorcières de l'orient

Tokyo-Ga n’était pas le seul documentaire des projections hors compétitions. Pascal-Alex Vincent (lui aussi fan de OZU et Satoshi KON) a pu projeté son nouveau documentaire sur l’actrice Keiko KISHI, et une autre femme artiste, Yayoi KUSAMA, était elle aussi au centre du documentaire Kusama Infinity revenant sur le parcours de cette femme à la renommée aujourd’hui mondiale mais malheureusement plus discrète durant le début de sa carrière. Enfin, Les sorcières de l’Orient de Julien Faraut, superbe documentaire de 2021 revenant sur l’histoire et l’exploit de de l’équipe japonaise médaille d’or du volley féminin en 1964, a également eu le droit à une projection. Julien Faraut mélange images d’archive, entretien avec les joueuses, et citation de l’anime Attacker n°1 dans un long-métrage hypnotisant témoin d’une époque charnière de l’après-guerre japonais. Pour les plus curieux, le documentaire est disponible sur plusieurs plateformes de VOD, ainsi qu’en DVD.

Quotidiens de femmes en animation

Dans un recoin de ce monde version longue

Pour finir, Kinotayo a aussi projeté deux films d’animation que nous avons déjà traité auparavant dans nos articles : Miss Hokusai et Dans un recoin de ce monde. Deux long-métrages qui commencent à prendre de l’âge (sortis respectivement en 2015 et 2016) mais qu’il est toujours bon de revoir au cinéma, particulièrement le sublime Dans un recoin de ce monde de Sunao KATABUCHI. Une petite interrogation tout de même : pourquoi ne pas avoir profité de cette projection pour montrer la nouvelle version longue du film sortie en 2019 ? Les 2h40 et quelques peuvent effrayer quelques spectateurs mais il est dommage de voir cet objet encore aujourd’hui absent des salles françaises.

Une édition chargée comme vous avez pu le voir dans cette longue mais incomplète rétrospective. Nous retiendrons principalement les diffusions hors compétition, qui sont toujours l’occasion de découvrir ou d’apprécier une nouvelle fois sur grand écran des bijoux du cinéma japonais ou sur le Japon. La sélection des films en compétition n’était pas toujours convaincante, mais la présence des réalisateurs, acteurs ou producteurs en fin de séance demeure un plus non négligeable pour les amateurs du cinéma japonais. L’apparition des Kinotayo X, débat autour des sujets des films en la présence de spécialises, est également un pas en avant vers la nouveauté pour un festival qui a aujourd’hui presque deux décennies derrière lui.

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