Cela fait plusieurs années que nous parlons de l’horreur à la japonaise sur Journal du Japon : entre les mangas, les jeux vidéo ou les films, les titres issus d’univers lugubres ne manquent pas, et il faut avouer que nous avons un petit faible pour eux.
Mais, concrètement, qu’est ce qui caractérise l’effroi venu du Japon ? À l’occasion d’Halloween, Journal du Japon vous propose un petit panorama de l’horreur à la japonaise.
The Ring, la première onryō à rencontrer le grand public international
Si vous avez la trentaine, vous faites peut-être partis de cette génération d’enfants traumatisés par cette fillette aux longs cheveux noirs, qui sort d’une télévision grésillante pour vous tuer, littéralement, de peur.
Si The Ring n’est pas le premier film d’horreur japonais (J-horror), à avoir attiré l’attention du public étranger, il est néanmoins le premier a avoir eu un retentissement aussi grand à l’international. Bien que nous l’ayons connu avec son remake américain en 2002, c’est bien la pate japonaise qui rend le film si particulier : d’abord par son ambiance sombre et anxiogène, où l’on ne saisit pas bien l’origine du mal et ses motivations, puis par cette figure caractéristique du folklore horrifique japonais, l’Onryō.
Cet esprit vengeur est l’un des revenants les plus représentés dans les histoires d’horreur japonaises. Son existence est dû à une mort brutale, tragique et injuste, souvent liée à une trahison ou un meurtre. Dans The Ring, cette onryō a de particulier que sa vengeance n’a pas de limite. Il n’est pas possible de la combattre ou de l’arrêter, tout ce que l’on peut faire c’est la transmettre à quelqu’un d’autre, aux travers d’une cassette maudite. Un mal insaisissable et inatteignable, issu d’une malédiction lancé par une simple cassette vidéo, que l’on se renvoi comme une patate chaude.
C’est avec The Ring que le grand public international découvre la J-horror aux début des années 2000. La jeune fille vengeresse devient une figure représentative, dans l’imaginaire mondial, de la peur japonaise. Une image héritée du théâtre kabuki qui a codifié la représentation de l’onryō sur la base du rituel funéraire qui veut qu’une femme en deuil ait les cheveux détachés. Sadako, la pauvre fille du puit, devient alors le symbole de l’horreur japonaise pour le public étranger. Pourtant, l’horreur venue du Japon est loin de se limiter à cette entité vengeresse.
Il nous est impossible de parler des sources d’inspirations de l’horreur japonais sans parler des religions au Japon. Nous n’apprenons rien à personne si nous disons que le bouddhisme et le shintoïsme sont les deux religions majeures au pays du Soleil Levant ; en revanche, ce qui peut être plus délicat, c’est de se rendre compte à quel point les deux ont introduit la notion de cohabitation entre le monde visible et le monde invisible dans la culture japonaise. Là où le shintoïsme voit des kami et autres divinités dans tout ce qui nous entoure, le bouddhisme, lui, nous parle de ce qui peut emprisonner une âme (comme la souffrance et la colère). Ainsi, la mort n’est pas une finalité mais plutôt une prolongation. En d’autres termes : les esprits sont là, partout avec nous, ils existent, qu’ils soient divins, maléfiques, ou même farceurs. C’est d’ailleurs une des caractéristique des yōkai, ces êtres étranges, qui communiquent entre les deux mondes, auxquels nous avons déjà dédiés toute une multitude d’articles (Yôkai, kami : êtes-vous là ? Ou quand le surnaturel s’empare du manga…, Les Esprits & Créatures du Japon vus par Benjamin Lacombe, Onibi d’Atelier Sentô : voyage au pays des Yôkai, Le folklore japonais et ses yōkai par Kévin Tembouret ,…).
Cependant, limiter les sources d’inspiration de l’horreur japonaise à la religion et aux yōkai serait un peu réducteur. Ils ont été le point de départ des contes populaires qui ont perduré de longues années et qui alimentent bien évidemment toujours les récits horrifiques japonais. Mais d’autres influences sont arrivées ces derniers siècles avec l’ouverture du pays à l’étranger et la modernisation.
« […] certains éléments ont fait leur entrée dans la pop culture japonaise avec la découverte des cultures religieuses européennes à partir du XVIe siècle et l’arrivée des missionnaires portugais. L’esthétique et certaines zones d’ombre du folklore religieux occidental ont un goût d’exotisme qui alimente l’imagination des créateurs. Ce qui est nouveau et inconnu séduit autant qu’il effraie. Ce sont donc des éléments parfait à intégrer dans une histoire cherchant à terrifier. Qui dit nouvelles religions dit nouveau folklore lié et nouveaux monstres à intégrer dans les histoires imaginaires. »
Comme nous l’explique Stéphanie Chaptal dans L’horreur venue du Japonaux Editions Ynnis (qui sert de sources pour cet article), l’ère Meiji (1868-1912) a été une période charnière dans l’évolution de l’horreur au Japon. De nouvelles créatures sont apparues comme les vampires, les diables et les succubes, ou encore Frankesntein. Les auteurs se les approprient et cherchent à les intégrer dans leurs récits horrifiques de manière à ce qu’ils parlent aux Japonais, comme Shigeru Mizuki qui présente Dracula en tant que yōkai occidental. De la même manière, H.P. Lovecraft trouve au Japon une terre d’accueil. C’est notamment grâce à Edogawa Ranpo que l’auteur va se faire connaître au pays du Soleil Levant, en le citant dans ses recommandations.
Puis Shigeru Mizuki intègre les créatures lovecraftiennes dans ses œuvres dès 1963, Junji Ito s’en inspire pour Spirale entre 1998 et 1999, et Gou Tanabe dédie sa carrière à l’adaptation de ses œuvres dedepuis 2015 au travers des Chefs d’œuvre de Lovecraft.
Ces nouvelles influences s’accompagnent d’un changement drastique de la société japonaise. La modernisation et l’urbanisation s’installent, et entrainent avec elles de nouvelles frayeurs.
« Si les yōkai sont nés des superstitions causées par les croyances shinto et bouddhistes et de la vie quotidienne avant l’ère industrielle, depuis le début du XXe siècle et plus encore après la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles légendes circulent sous la forme de rumeurs racontées pour se faire peur… »
Parmi elles, des victimes directes de la Seconde Guerre mondiale : Toire no Hanako, une petite fille qui hante les toilettes des filles de l’école après y avoir trouvé la mort, tuée par un obus ; Peko-Chan, à nouveau une petite fille, qui a mangé sa mère pour survivre à la famine ; ou encore Teke Teke, une femme vengeresse qui nous apparait coupée en deux, suite à son suicide sur une voie ferrée, après avoir été violée par des occupants américains. Mais la plus connue des figures issues de la Seconde Guerre mondiale, c’est Godzilla. Ce monstre, né de la peur du nucléaire, est la représentation d’un traumatisme sans précédent pour les Japonais, comme nous l’avions abordé dans notre introduction aux kaiju.
En parallèle, la menace du changement climatique et les expérimentations douteuses menée depuis 1930 par l’armée japonaise entraînent avec elles l’émergence de créatures génétiquement modifiées que l’on retrouve dans les jeux vidéo nippons comme Resident Evil et Parasite Eve. Mais, la nature n’est pas la seule a subir les conséquences de la modernisation. Le peuple japonais aussi y passe : la sensation de déshumanisation qu’entraîne la société japonaise, avec ses salarymen absent du foyer, sa politique violente des années 60-70 ou encore sa révolte étudiante en 68, amène avec elle un sous-genre horrifique où la frontière entre l’humain et la machine devient difficilement perceptible : la population subit les cadences de travail infernales et l’isolation sociale, afin de permettre au pays de se développer d’un point de vue technologique, et le cyberpunk japonais le dénonce, à l’image de Tetsuo (1994) de Shin’ya Tsukamoto.
Battle Royale de Kinji FUKASAKU (2000)
Enfin, nous ne pouvons pas terminer ce chapitre sans parler du cas Battle Royal : résultat direct de la pression social vécue par les enfants, les voici devenir de véritables meurtriers qui prennent goût au massacre des autres. L’horreur ne vient pas d’une créature surnaturelle, génétiquement modifiée ou traumatisée, elle vient de la jeunesse japonaise qui, à cause de sa violence et son décrochage scolaire, terrifie les adultes au point de créer la loi BR : une classe de troisième choisie au hasard doit s’entretuer, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un.
La femme comme figure d’horreur
Malgré des sources d’inspirations aussi nombreuses que variées, on identifie facilement un élément récurrent dans l’horreur japonaise : la femme. Quelle soit encore une petite fille ou qu’elle soit devenue une vieille dame, quelle soit une victime ou une provocatrice, la femme tient un rôle à part entière dans l’effroi japonais.
« Puisant une fois de plus aux sources anciennes de la religion et de la littérature venue de Chine, étoffées par de nouvelles peurs et de nouveaux désirs à l’ère moderne, la part féminine de l’horreur japonaise oscille sans cesse entre désir puissant, mise en garde et répulsion. »
Les plus assidus l’auront déjà peut-être remarqué : Sadako, Toire no Hanako, Peko-chan, Teke Teke,… Toutes ces créatures précédemment citées sont féminines, et si l’on voulait continuer, la liste serait interminable. L’explication est ici plus asiatique que japonaise et vient principalement du bouddhisme : le corps des femmes est pollué par le sang et les émotions, il ne leur permet pas d’atteindre le nirvana sans s’être réincarner en homme auparavant, et il est soumis à une forte perméabilité à la possession. On ajoute à cela que les compétences médiumniques sont généralement attribuées aux femmes, à l’image des chamanes japonaises, et que le genre horrifique, notamment dans le manga, s’adresse plus à un public féminin que masculin, comme en témoignent les magazines qui publient de l’horreur. Si Gekkan Halloween et Nemuki, des magazines orientés shôjo, ont été un tremplin pour les grands noms d’aujourd’hui comme Junji Ito ou Kazuo Umezu, on note aussi l’existence des ladies’ comics, comme Honkowa, qui sont spécialisés dans l’adaptation manga d’histoires vraies et de témoignages. Cet ensemble amène la femme a être à la fois une source de peur et une cible pour l’horreur.
Parmi l’une des figures représentatives de la femme comme créature horrifique, on peut ici citer Tomie, la plus populaire dans l’horreur japonaise moderne. Personnage emblématique des œuvres de Junji Ito, le maître du manga d’horreur, elle incarne à elle seule tous les visages du fantôme féminin japonais : elle est belle, séductrice, et elle vient vous hanter. À l’image de Sadako et des autres onryō, Tomie est une victime qui n’a d’autres buts que la vengeance. Sa mort tragique l’a amené à une profonde haine qu’elle traine avec elle partout où elle va.
Comme nous l’avons constaté ensemble, l’horreur japonaise n’a cessé d’évoluer au fil des siècles. Elle s’est perpétuellement nourrie et réinventée, et a petit à petit envahi le grand public international sans qu’il ne s’en rende compte. C’est en effet avec la démocratisation de l’animation japonaise que le téléspectateur étranger a accepté cette dimension horrifique dans les œuvres qu’il regarde.
« Rarement marquée comme le genre principal d’un film ou d’une série, l’horreur est pourtant l’un des moteurs les plus couramment utilisés dans l’animation japonaise. […] Même si la série ou le film n’a pas l’horreur pour genre principal, la volonté de faire peur aux téléspectateurs lors de certaines séquences, de jouer avec des personnages monstrueux ou d’utiliser la violence et la terreur psychologique est souvent utilisée comme appât pour retenir le spectateur et susciter son intérêt. Et ce d’autant plus facilement qu’au Japon l’animation, qu’elle soit diffusée sur cinéma ou destinée au petit écran, ne se réserve ni à un public enfantin, ni à un public de cinéphiles pointus ou amoureux de genre […]. C’est ce décloisonnement qui fait la richesse de l’animation japonaise et sa créativité. »
Cette normalisation de l’effroi dans l’ animations japonaise expliquerait-elle l’attrait au manga d’horreur qui n’est aujourd’hui plus un genre de niche ? Cette question ne trouvera certainement pas sa réponse ici, d’autant plus que les facteurs sont toujours multiples ; mais il est intéressant d’observer l’évolution du marché de l’horreur japonaise chez nous.
Outre l’animation japonaise qui installe des ambiances sombres, comme Tokyo Ghoul, Ajin ou encore Wicked City, et les mangas d’horreur (dont de nouveaux titres sortent tous les mois en France !), la J-Horror moderne n’est pas en reste. Entre les zombies, la toxicité des liens du sang ou encore les légendes urbaines, l’heure est à l’expérimentation. L’horreur japonaise n’a jamais aussi proche de nous !
Si ce court panorama à l’horreur japonaise vous a intrigué, rendez-vous sur le site officiel des éditions Ynnis pour vous procurer L’horreur venue du Japon et ainsi entrer plus profondément dans les abysses de l’effroi. En attendant, rendez-vous demain pour la sélection des mangas d’horreur d’Halloween !
Roxane, passionnée depuis l'enfance par le Japon, j'aime voyager sur l'archipel et en apprendre toujours plus sur sa culture. Je tiens le blog rokusan.fr dédié aux voyages au Japon.